Découverte archéologique

Une tombe mystérieuse dans la capitale des tsars bulgares

Le nom de Veliko Tarnovo ne vous est peut-être pas familier. Pourtant, cette ville du centre-nord de la Bulgarie fut entre le XIIe et le XIVe siècle la capitale des tsars du second empire bulgare, l’une des grandes puissances de l’époque. Les fouilles archéologiques menées dans un monastère rappellent sa grandeur et son rayonnement passés.

La renaissance d’un empire.

empire-bulgare-ivan-asenBien que le premier empire bulgare ait été détruit en 1018 par le basileus Basile II, la région acceptait mal la domination byzantine. Cependant, toutes les révoltes du XIIe siècle sont un échec. Mais en 1185, Théodore et Asen, deux frères originaires de Tarnovo, se révoltent contre le basileus Isaac II Ange et fondent le second empire bulgare.

En quelques années, celui-ci s’affirme comme une grande puissance balkanique. Profitant du chaos suivant la chute de Constantinople en 1204 pour consolider leur domination, les tsars Kaloyad et Asen II portent le nouvel empire à son apogée territoriale au milieu du XIIIe siècle.

Cependant, l’empire bulgare commence ensuite à décliner. Après une période de stabilisation au début du XIVe siècle, il sombre après les années 1350 dans des luttes intestines et se désagrège. Dans les dernières années du XIVe siècle, les Ottomans lui portent un coup fatal et il disparaît définitivement en 1396. Il faut attendre 1878 pour qu’une Bulgarie indépendante ne réapparaisse.

Tarnovo, la cité des tsars.

Tarnovo devient la capitale d’une dizaine de tsars du XIIe au XIVe siècle et connaît un âge d’or de presque deux siècles. Non seulement la cité est un centre politique majeur de l’époque, mais le siège du patriarche autocéphale de Bulgarie y est aussi fixé. Sa prospérité économique y attire des communautés arméniennes, juives ou « franques » (occidentaux catholiques) et les deux collines de la ville, Trapezitsa et Tsarevets, sont puissamment fortifiées. Tarnovo est alors un grand centre culturel et artistique, qui donne naissance à plusieurs écoles en peinture, architecture et littérature. La ville se couvre aussi de monuments : la seule colline de Tsarevets, outre le palais des tsars et les demeures de la haute aristocratie, compte 4 monastères et 23 églises, dont celle du patriarche.

entree-citadelle-tsars-bulgares.jpg
La forteresse de Tsarevets depuis son entrée principale.

Le rayonnement de Tarnovo connaît pourtant un brusque coup d’arrêt : l’empire se désagrège en luttes intestines dans la deuxième moitié du XIVe siècle et se montre incapable d’endiguer la poussée ottomane. En 1393, les troupes turques viennent assiéger Tarnovo. Malgré une résistance farouche menée par le patriarche Euthyme, elles s’emparent de la ville après trois mois de siège : c’est la première capitale européenne de l’époque à tomber entre les mains des Ottomans. La ville est partiellement détruite et sa population massacrée. Le palais royal est détruit, les notables locaux sont exécutés, le patriarche est envoyé en exil et certaines églises détruites ou transformées en mosquées. Sous domination ottomane jusqu’au XIXe siècle, la ville ne retrouve jamais son lustre passé.

Un monastère redécouvert.

Plan de Tarnovo au Moyen Age.
Plan de Tarnovo au Moyen Age.

En 2014, le professeur Vatchev localise les vestiges d’un monastère dans le « Frenkhisar », le quartier « franc » du Tarnovo médiéval, au sud-est des murs de la citadelle de Tsarevets et en contrebas de la tour de Baudoin (du nom de l’empereur latin capturé en 1205 qui y serait mort en captivité). Ce monastère, l’un des trois dédiés à la Mère de Dieu (qui était la patronne de la ville), était l’un des plus importants de la cité médiévale et couvrait une superficie d’environ deux hectares.

La poursuite des recherches sur le site avait permis de mettre à jour en 2015 un bâtiment du XIIIe-XIVe siècle contenant des fragments de peinture murale et de céramique, qui était probablement le réfectoire des moines.

Mais ce sont des vestiges plus anciens qui ont créé la surprise : sous le monastère médiéval se trouvaient en effet les restes d’une basilique remontant à l’antiquité tardive ou au début de la période byzantine, une période mal connue pour la ville. La grande taille de l’édifice (40 mètres sur 20) a permis au professeur Vatchev d’avancer l’hypothèse qu’un évêque y siégeait et que la ville de l’époque byzantine était peut-être plus importante qu’on ne le pensait jusqu’alors et déjà fortifiée. Cela expliquerait que les premiers tsars aient décidé d’en faire leur capitale, décision que l’on attribuait jusqu’à présent au fait qu’ils en étaient originaires.

La tombe d’un haut membre du clergé.

Au début d’octobre 2016, l’équipe fait une nouvelle découverte. Entre l’église et les bâtiments résidentiels, un des endroits les plus en vue du monastère, ils découvrent une tombe remontant à la fin du XIVe siècle ou au début du XVe siècle. Elle abrite le squelette d’un homme inhumé en position semi-assise, qui souffrait d’arthrite et est décédé autour de l’âge de 60 ans. Les os et vêtements retrouvés vont être soumis à des analyses qui permettront peut-être d’en apprendre davantage, cependant la configuration de sa tombe et la position de son inhumation fait supposer qu’il s’agissait d’un important ecclésiastique.

En effet, la tradition en Bulgarie durant le Moyen Age tardif était de placer les hauts membres du clergé sur un trône après leur décès afin d’accomplir certains rituels, puis de placer le corps sur une table en lui appuyant le dos sur des coussins. Ces opérations laissaient le cadavre dans une position semi-assise qui nécessitait ensuite une tombe adaptée, comme c’est le cas. Le squelette pourrait avoir appartenu à un évêque, mais ceux de Tarnovo sont connus à cette époque et se font plutôt enterrer dans un autre monastère, celui de Saint-Pierre-et-Paul. Reste donc l’hypothèse d’un archimandrite, que privilégie le professeur Vatchev. Un archimandrite était (et est toujours) un titre honorifique décerné à des ecclésiastiques importants, notamment aux supérieurs des monastères, les higoumènes.

On ne saura peut-être jamais l’identité exacte de ce personnage, mais la découverte de sa tombe et du monastère dans lequel il a été inhumé permet déjà de mieux appréhender l’histoire de Tarnovo, et la poursuite des fouilles permettra certainement d’en apprendre encore davantage.

Laisser un commentaire