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Chili : les plus vieilles momies du monde rongées par les bactéries

Depuis le début des années 1900, près de 300 momies humaines ont été découvertes le long de la côte du Pacifique, au sud du Pérou et au nord du Chili. Ces restes, qui comprennent des adultes, mais aussi des enfants et des fœtus, proviennent d’un groupe de chasseur-cueilleur connu sous le nom de culture Chinchorro, et certaines sont les plus vieilles momies du monde. Mais avoir traversé des milliers d’années sans dommages, un prédateur microscopique pourrait bien les faire disparaître.

Les plus vieilles momies du monde

Le désert d'Atacama, à cheval entre le Pérou et le Chili. Credits : cobaltcigs, CC by SA.
Le désert d’Atacama, à cheval entre le Pérou et le Chili. Credits : cobaltcigs, CC by SA.

Environ 30% des momies retrouvées dans le désert d’Atacama ont été momifiées naturellement. La momie la plus ancienne, l’homme Acha remonterait ainsi aux années -7020.

Cependant, environ 2000 ans plus tard, les Chinchorros commencent à momifier leurs morts. Les plus vieux cadavres ainsi « travaillés » remontent aux années 5050 avant notre ère, ce qui en fait techniquement les plus vieilles momies du monde, puisque les Egyptiens, autres grands experts ès momies, ne commencent à momifier leurs pharaons et leurs élites qu’environ 2000 ans plus tard, vers -3000.

Une momie chinchorro, vers -3000. Credits : Pablo Trincado, CC by SA.
Une momie chinchorro, vers -3000. Credits : Pablo Trincado, CC by SA.

Les techniques de momification des Chinchorros ont varié au cours du temps. La technique la plus ancienne, dite des momies noires (-5000 à -3000), consistait à démembrer le corps pour en retirer toutes les parties molles, puis à faire sécher les eaux et la peaux avant de réassembler la momie, en utilisant parfois une pâte de cendres blanche pour combler les trous. La peau ou la pâte était ensuite peinte au manganèse noire, leur donnant leur couleur. Avec la technique dite des momies rouges (-2500 à -2000), les corps n’étaient pas désassemblés.  A l’exception de la tête, coupée pour en retirer le cerveau, on pratiquait plutôt des incisions pour retirer les organes. On couvrait souvent la tête d’une perruque et d’une sorte de chapeau d’argile noire, tandis que le reste du corps était peint à l’ocre. La technique la plus récente, dite du manteau de boue, consistait à recouvrir le corps – sans en retirer les organes – d’un épais manteau de boue, sable et de liant comme de l’oeuf ou de la colle de poisson. Les momies étaient alors cimentés dans leurs tombes.

On retrouve encore des momies, naturelles ou non, jusque dans les années -1300.

La culture Chinchorro

Les plus vieilles momies du monde
Momies chinchorro à San Miguel de Azapa.

A la différence des Egyptiens, les Chinchorros n’ont pas réservé un traitement post-mortem privilégié aux classes les plus élevées de leur société. Ces chasseurs-cueilleurs, probablement semi-nomades et dont le régime alimentaire était largement dominé par les fruits de mer, semblent au contraire avoir développé une société plutôt égalitaire.

En effet, on ne constate pas de traitement de faveur en faveur d’un sexe ou d’un autre, alors qu’au contraire les individus les plus faibles de la société, notamment les anciens, les enfants et les foetus, ont aussi été momifiés en grand nombre.

Pourquoi momifier ?

plus vieilles momies du monde
Une momie chinchorro, vers -3000. Credits : Pablo Trincado.

On n’ignore la raison pour laquelle les Chinchorros ont commencé à momifier leurs morts. Les momies ont peut-être servi de moyen symbolique pour assurer la survie de l’âme. Une théorie plus répandue serait qu’elles aient servi au culte des ancêtres, et on trouve des preuves que les corps ont voyagé avec les communautés et étaient placées dans des positions d’honneur durant les rituels majeurs. Les corps étaient par ailleurs soigneusement décorés et colorés (parfois même repeints des années plus tard), et probablement renforcés pour permettre leur transport.

Bernardo Arriaza, spécialiste de cet ancien peuple travaillant à l’université de Tarapaca, a avancé une hypothèse pour expliquer que les Chinchorros aient commencé à développer une telle relation avec leurs morts. Cela viendrait… d’un empoisonnement à l’arsenic.

De forts taux de cette substance ont en effet été retrouvés dans les tissus des momies, et les chercheurs pensent que les Chinchorros buvaient une eau contaminée par les volcans avoisinants. L’empoisonnement à l’arsenic peut conduire à un taux élevé de fausses couches et à une haute mortalité infantile. La peine liée à ces décès aurait pu conduire les communautés à tenter de préserver les petits corps : les plus anciennes momies retrouvées sont en effet celles de fœtus et d’enfants, qui sont par ailleurs très représentés et ont souvent joui d’une momification particulièrement élaboré. A partir de là, la pratique se serait étendue au reste de la société.

Des bactéries voraces

Mais voilà qu’une centaine de ces momies millénaires, soit près d’un tiers d’entre elles, ont commencé depuis quelques années à se transformer en gélatine noirâtre. Ce processus que les chercheurs chiliens ne sont pour le moment pas parvenus à stopper, serait le résultat de colonies bactériennes prospérant sur la peau momifiée des momies, dont elles se servent comme nutriment.

Consultés, des scientifiques de l’université d’Harvard se sont aussi penchés sur le problème. Ils ont conclu que ces bactéries n’étaient pas d’origine ancienne mais se trouvaient au contraire sur la peau de tout individu, et qu’elles avaient commencé à se développer lorsque la température et le taux d’humidité le leur avait permis.

Vue de la côte aride du désert d'Atacama, parc national Pan de Azucar. Credits : Aaron Bornstein.
Vue de la côte aride du désert d’Atacama, parc national Pan de Azucar. Credits : Aaron Bornstein.

En effet, les momies des Chinchorros sont restées enterrées pendant des millénaires sous les sables secs du désert d’Atacama, dont certaines parties n’ont pas été arrosées par la pluie pendant des centaines d’années. Transportées dans des instituts locaux pour les préserver après leur découverte, elles n’auraient guère apprécié le changement de leurs conditions de conservation. Ce n’est d’ailleurs pas un cas isolé, et il rappelle notamment l’intervention sur la momie de Ramsès II, attaquée par des champignons, ou sur celle de Rosaria Lombardo, dans les catacombes de Palerme.

Incapables d’endiguer le processus, les chercheurs chiliens ont pour le moment soumis la candidature des momies comme patrimoine mondial de l’UNESCO, dans le but affiché d’attirer plus d’attention de la communauté internationale sur leur sort et de trouver des solutions. Car à moins de mieux comprendre le processus de dégradation en cours afin de le stopper, et de garantir la conservation des momies dans des conditions adaptées, beaucoup risquent fort de se transformer en gélatine gluante, privant ainsi le monde de ses plus vieilles momies.

 

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