Actualité archéologique

Face au risque de séisme majeur, Istanbul renforce ses monuments

Depuis le séisme de 1894, Istanbul avait dormi tranquille jusqu’à ce que le tremblement de terre de la mer de Marmara en 1999 ne rappelle à ses habitants la réalité : la ville, située sur une faille sismique, est une zone à haut risque. Selon les estimations des experts, la probabilité qu’un séisme de magnitude supérieure à 7 ne frappe Istanbul d’ici à 2034 est forte. Pour une agglomération comptant plus de dix millions d’habitants, les conséquences pourraient être désastreuses et les autorités turques ont lancé une série de plans pour minimiser les possibles conséquences d’un tel événement.

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Istanbul se situe à la jonction de deux plaques tectoniques, générant un risque sismique majeur.

Parmi les préoccupations des autorités se trouve aussi la conservation de 176 monuments historiques de la ville. Héritier de plus de 2000 ans d’une riche histoire comme capitale des empires byzantins et ottomans, le patrimoine stambouliote est en effet considérable. Certains édifices comme le palais de Topkapı ou Sainte-Sophie sont célèbres dans le monde entier et comptent parmi les attractions les plus visitées du pays.


Istanbul et les tremblements de terre, une vieille histoire.

Que la terre tremble fréquemment n’est pas une nouveauté, et la longue histoire de Byzance, Constantinople puis Istanbul a été ponctuée de séismes violents, enregistrés dans les annales byzantines comme ottomanes. Rares sont les siècles où la ville n’a pas connu de secousse majeure.

Parmi les tremblements de terre les plus importants, on peut rappeler celui du 14 décembre 557, qui d’après les contemporains « rasa presque entièrement la ville », ou celui de 740, qui est encore commémoré tous les 26 octobre par l’Eglise orthodoxe comme le « jour du grand et effrayant tremblement de terre » – il détruisit par exemple l’église Sainte-Irène, dont nous reparlerons plus bas.

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Minaret s’écroulant lors d’un séisme à Istanbul.

La capitale ottomane n’est pas non plus épargnée : en 1509, une « petite apocalypse » détruit une grande partie de la ville et plus d’une centaine de mosquées.

Si les séismes de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle n’ont causé que peu de dommages, quelles seraient les conséquences d’un tremblement de terre majeur sur les monuments séculaires de la ville ?


Un plan pour renforcer 176 monuments historiques.

D’après le directeur de la Culture et du Tourisme d’Istanbul, Coşkun Yılmaz,  « notre priorité est de protéger ces monuments historiques contre un possible séisme. Dans ce contexte, prenant en considération les risques et conséquences de l’important tremblement de terre de Marmara en 1999, le ministère de la Culture et du Tourisme a avancé en matière de renforcements des monuments historiques dans les dix dernières années. […] En collaboration avec des experts locaux et étrangers, les risques sismiques pour ces monuments ont été déterminés et des projets ont été lancés en conséquence ».

Istanbul compterait un total d’environ 40000 édifices anciens, mais les 176 édifices retenus comptent parmi les plus importants, parmi lesquels :

Le palais de Topkapı.

Résidence des sultans entre le XVe et le XIXe siècle, c’est un des plus grands palais du monde, une ville dans la ville qui s’étend sur environ 300000 m². Transformé en musée en 1924, il conserve de nombreuses œuvres d’arts et documents d’archives. Une importante enveloppe de 60 millions d’euros lui est consacrée dans le cadre du plan de renforcement contre les séismes, et des travaux ont déjà été réalisés sur la mosquée des  Ağas (XVe siècle), le trésor extérieur, les cuisines, le trésor impérial ou encore les murs extérieurs du palais.

L’église Sainte-Irène.

Les travaux devraient bientôt commencer sur cette église byzantine du VIIIe siècle (reconstruite dans sa forme actuelle après le séisme de 740), située dans l’enceinte de Topkapı.

Le musée archéologique d’Istanbul et le musée des Arts Turcs et Islamiques.

C’est l’un des plus importants bâtiments néoclassiques construit dans la ville, et il abrite aujourd’hui plus d’un millions d’objets.  Quant au musée des Arts Turcs et Islamiques, installé dans le palais du XVIe siècle d’Ibrahim Pacha (l’un des principaux ministres de Soliman le Magnifique), il a déjà fait l’objet d’importants travaux de maintenance.

L’église-musée-mosquée de Kariye.

Il s’agit de l’ancienne église de Saint-Sauveur in Chora, convertie en mosquée pendant l’ère ottomane, puis en musée comme Sainte-Sophie, elle a été récemment retransformée en mosquée. Son importance historique et artistique est forte, car elle a préservé des peintures et mosaïques byzantines qui comptent parmi les plus belles qui nous soient parvenues. Des recherches et un projet de restauration, approuvé en 2011, y sont en cours, notamment pour identifier par géo-radar des fissures ou trous.

Sainte-Sophie, 1500 ans de réparations et de renforcements.

Quant à Sainte-Sophie, que Coşkun Yılmaz décrit comme « la pupille de nos yeux », elle a souffert de nombreux séismes mais a également démontré sa robustesse au cours de ses presque 1500 ans d’histoire.

La menace sismique s’inscrit pourtant très tôt dans l’histoire de Sainte-Sophie : inaugurée par l’empereur Justinien en 537 (sur les ruines de l’église détruite pendant la révolte Nika de 532), l’édifice est frappé par les tremblements de terre de 553 et surtout de 557, qui provoquent des fissures dans le dôme. Lors d’une nouvelle secousse en 558, il s’effondre complètement. Il est alors reconstruit de manière différente dans sa forme actuelle : achevé en 560, il culmine à presque 56 mètres de hauteur.

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Vue de l’intérieur de Sainte-Sophie.

Mais les siècles suivants ne sont pas un long fleuve tranquille. Un tremblement de terre en 869 entraîne l’effondrement d’un des demi-dômes. En 989, le grand arc du dôme ouest s’effondre lors d’un autre séisme : il faudra 6 ans pour réparer l’église.  Au XIVe siècle, alors que l’empire byzantin s’achemine vers sa fin, le grand dôme, endommagé par les secousses de 1344, s’écroule partiellement avec d’autres parties de l’édifice lors d’un nouveau séisme en 1346 : il faudra 8 ans pour réparer les dommages.

Les anciens sont d’ailleurs conscients des menaces pesant sur l’édifice : on pense que les premiers contreforts construits pour soutenir l’édifice ont été réalisé durant la période latine (1204-1261), puis par les Byzantins et les Ottomans.

Les séismes des siècles suivants n’infligent pas de dommages majeurs – si ce n’est l’effondrement de certains des minarets ajoutés par les Ottomans à Sainte-Sophie, transformée en mosquée depuis 1453.

L’édifice devient un musée en 1935, mais son état général cause cependant des inquiétudes dans les années 90, non seulement à cause du risque sismique mais aussi de par la dégradation de certains de ses éléments, et notamment de ses toitures.

En 1991, elle est équipée de capteurs sismiques, et fait l’objet d’une simulation par ordinateur pour prédire son comportement en cas de séisme majeur. Entre 1997 et 2002, le Fonds Mondial pour les Monuments a financé une réparation du toit et la restauration du grand dôme.

Mais le tourisme de masse (l’édifice est visité chaque année par plus de trois millions de personnes), encore accru depuis que l’édifice est redevenu une mosquée, fragilise l’édifice, rendant incertain son avenir : il n’est pas sûr que l’enveloppe d’un peu plus de 6 millions d’euros qui devrait lui être allouée pour la renforcer contre le risque sismique suffise à assurer sa préservation.


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