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Une basilique chrétienne dans une cité du IVe siècle fouillée en Ethiopie

Beta Samati : ce nom ne vous dit sûrement rien, mais l’exploration de ce site par une équipe d’archéologues menée par des chercheurs de Yale pourrait bien faire la lumière sur la conversion de l’empire d’Aksoum au christianisme et ses liens avec les routes commerciales de l’époque vers l’empire romain.

 

L’empire d’Aksoum, aux origines de l’Ethiopie chrétienne.

Petit retour sur la passionnante histoire, encore bien mal connue, de l’Ethiopie durant l’antiquité. A partir de -80, le puissant royaume d’Aksoum se développe sur de vastes territoires qui s’étendraient aujourd’hui sur le nord de l’Ethiopie, l’Érythrée et le sud-est du Soudan. Les souverains d’Aksoum parviennent même à prendre le contrôle de la plus grande partie de l’actuel Yémen, s’assurant une grande prospérité basée sur le commerce. A tel point que le prophète Mani (mort en 274), fondateur du manichéisme, considérait Aksum comme l’une des quatre grandes puissances de son temps avec Rome, la Chine et la Perse.

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Eglise Sainte-Marie de Sion, fondée au IVe siècle par Ezana à Aksoum.

Or au IVe siècle, sous le règne d’Ezana (environ 320-360), le royaume d’Aksoum adopte le christianisme – c’est le premier Etat à le faire formellement et aujourd’hui encore, près de 40 millions d’Ethiopiens suivent cette religion.

Au cours des siècles suivants, l’empire décline progressivement, perdant le contrôle du Yémen, et soumis à la pression grandissante des Arabes. Il finit par s’effondrer complètement au Xe siècle. Par la suite, d’autres dynasties chrétiennes refonderont sur les hauts plateaux éthiopiens des Etats chrétiens puissants qui se réclameront les héritiers de l’empire d’Aksoum.

 

Revisiter l’histoire de l’Ethiopie.

Si l’histoire de ces empires africains reste aussi mal connu, c’est aussi en partie parce que la recherche a longtemps été teintée de préjugés. Pour les savants du XIXe et du XXe siècle, les peuples autochtones africains ne pouvaient pas avoir produits de grandes civilisations. Dans cette optique, on attribuait les réalisation des pharaons noirs du royaume de Koush aux Egyptiens, et ceux d’Aksoum des Sabéens, civilisation du Yémen etc. Une vision des choses souvent même appliquées aux peuples précolombiens.

Cet état d’esprit était naturellement peu propices à des recherches plus approfondies et des pans entiers de l’histoire de ces royaumes africains sont encore à explorer. En quoi les fouilles de Beta Samati, publiées en décembre 2019, peuvent-elles y contribuer ?
Michael Harrower, l’auteur principal des recherches, répond ainsi à cette question : « Nos découvertes sont importantes pour documenter les origines des sociétés complexes de l’Afrique subsaharienne, les routes commerciales internationales et les contacts de l’empire d’Aksoum, ainsi que le christianisme primitif en Afrique”. Jessica Lamont, également membre de l’équipe de recherche, précise aussi que les chercheurs considèrent la mer Route comme une “artère” vitale pour les liens commerciaux dans la région à travers Aksoum et vers la Méditerranée orientale.

Les recherches ont commencé par des études archéologiques non invasives dans la région de Beta Samati – située entre l’ancienne capitale d’Aksoum et la mer Rouge. En 2009, les locaux suggèrent aux archéologues de s’intéresser à une colline située près du village moderne d’Edaga Rabu. La tradition locale la considérait comme importante, même s’ils ne savaient pas vraiment pourquoi.

 

Les découvertes sur le site de Beta Samati.

Suivant ces indications, les chercheurs ont mené deux campagnes de fouilles en 2011-12 et 2015-16. Ivana Dumitru, le directeur des fouilles, en livre le compte rendu : la découverte d’un ancien établissement présentant une architecture à la fois résidentielle et religieuse. Le site livre ainsi des informations précieuses sur la vie quotidienne dans l’ancienne Ethiopie : les zones résidentielles paraissent avoir été planifiées, et les archéologues ont retrouvé des traces d’activités artisanales à petite échelle, comme la production de métal et de verre.

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Une pierre ornée d’une croix et de l’inscription « vénérable » découverte près de la basilique.

Mais la trouvaille la plus importante est probablement le dégagement d’une basilique, attestant de pratiques religieuses anciennes et de l’engagement de la région dans un commerce longue distance avec la Méditerranée. Le bâtiment, mesurant environ 18 mètres sur 12, rappelle les anciennes basiliques romaines, dont le plan fut adopté pour les édifices religieux chrétiens. Pour Jessica Lamont, cette basilique, qui constitue l’une des premières preuves matérielles de la présence du christianisme en Afrique subsaharienne, met en lumière la propogation de cette religion par le biais des réseaux commerciaux mettant en relation l’empire romain, puis byzantin à l’Afrique (et au-delà l’Asie du Sud) par la mer Rouge. D’autres découvertes, telles que des jetons, des bagues et des figurines, montrent le mélange de traditions païennes et des apports chrétiens.

 

Une époque charnière pour la région.

D’après Jessica Lamont, il s’agit « d’un moment historique fascinant, où l’on voit les croyances et les pratiques religieuses pré-chrétiennes, et comment elles changent avec l’avènement du christianisme. Nous avions toujours pu voir cela à Rome et dans les villes de la Méditerranée orientale, mais maintenant nous pouvons voir à quel point cela se produisait simultanément au sud et à l’est.” Elle précise d’ailleurs qu’elle est impliquée dans le projet du fait du caractère “mondialisé” de l’empire d’Aksoum, qui dialoguait avec la Méditerranée orientale classique et utilisait les biens et objets venus du monde gréco-romain comme symboles de statut social. “Nous ne nous contentons pas de regarder les perles, la poterie, les bijoux et l’importation de produits de luxe : les réseaux commerciaux et la conversion précoce au christianisme sont un excellent exemple que nous parlons d’échange de technologie, de religion et d’institutions religieuses”. La conversion des rois aksoumites intervient de fait à peu près à la même époque que celle de Constantin et de l’empire romain.

De futures campagnes de fouilles sont prévues sur le site et dans la région, afin d’approfondir ces découvertes et ces recherches. Les chercheurs espèrent par ailleurs qu’un musée sera aménager par les autorités locales pour exposer les découvertes et potentiellement développer le tourisme dans la zone.

 

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