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Que faisait une épée vieille de 5000 ans dans un monastère de Venise ?

C’est une épée en fer, plutôt petite, que l’on peut voir exposée au milieu d’objets médiévaux dans une vitrine du monastère de San Lazzaro degli Armeni, située sur une petite île de la lagune de Venise. On aurait pu en rester là sans Vittoria Dall’Armellina, une doctorante de l’université Ca’ Foscari de Venise qui, en travaillant sur cet objet, a dévoilé une histoire surprenante.


Une des plus vieilles épées du monde.

Car cet objet n’a rien de médiéval. Au contraire Vittoria Dall’Armellina note une grande ressemblance avec des épées découvertes en Anatolie et vieilles de plusieurs millénaires. Une d’entre elles se trouve au musée de Tokat, dans la région turque de Sivas. Mais les exemples les plus remarquables ont été découverts en 2004 lors de fouilles du palais royal d’Arslantepe.

Arslantepe, « la colline aux lions », est un site archéologique majeure de l’Anatolie protohistorique et de l’âge du bronze. Le site a été repéré et a fait l’objet des premières recherches sous l’impulsion du français Louis Delaporte dans les années 30. Depuis, plusieurs campagnes archéologiques ont eu lieu, établissant ce site comme un des plus importants pour l’étude des périodes anciennes de l’Anatolie. Les fouilles ont en effet permis de dégager la cité de l’âge du fer et son palais – Arslantepe était à cette époque le centre d’un royaume subordonné aux Assyriens.

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Les épées d’Arslantepe, les plus vieilles au monde. Leur style est le même que pour celle conservée à Venise.

Mais ce sont surtout ses vestiges de l’âge du bronze, et en particulier du début de cette période, qui se sont révélés remarquables. A l’époque, Arslantepe comporte un grand complexe palatial et religieux, qui se développe entre -3350 et jusqu’à sa destruction vers -3000 et constitue le plus ancien centre administratif connu au Proche-Orient.

Lors de fouilles en 2004, neuf épées y sont découvertes. D’une longueur variant entre 45 et 60 cm, des analyses chimiques les date d’environ -3300, en faisant les plus anciennes épées connues au monde. Ces études ont aussi montré que les connaissances métallurgiques de leurs créateurs étaient assez poussées : de l’arsenic a été utilisé pour changer les propriétés du cuivre et produire un métal plus résistant.

L’épée de Venise n’est pas aussi ornée que celles d’Arslantepe, mais des tests scientifiques ont confirmé qu’elle était vieille de plusieurs millénaires et avait probablement été forgée vers -3000. En plus, la composition de son métal était très proche de celle des autres épées forgées en Anatolie, y compris celles d’Arslantepe.

Mais alors, comment cette épée anatolienne vieille de plus de 5000 ans a-t-elle pu se retrouver dans un monastère de la lagune vénitienne ?


Un centre culturel majeur de la diaspora arménienne.

Il se trouve que San Lazzaro degli Armeni n’est pas n’importe quel monastère. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une communauté de moines arméniens qui trouve son origine en 1717, lorsque le père Mékhitar reçoit en cadeau de la République vénitienne un îlot sur lequel se trouvait un lazaret (établissement réservé aux lépreux) abandonné. Mékhitar, soucieux de promouvoir le renouveau de la culture arménienne, fonda dans ce but l’ordre mékhitariste. San Lazzaro degli Armeni devint dans les siècles suivants et jusqu’à aujourd’hui un lieu de culture et d’études très important de la diaspora arménienne.

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Le monastère, établi sur un îlot de la lagune vénitienne.

Y retrouver une épée provenant d’Anatolie est donc déjà moins étonnant. L’examen des archives du monastère a livré encore d’autres renseignements : l’épée était arrivée à Venise depuis Trébizonde (sur la côte nord de la Turquie), et avait été donné au monastère par un collectionneur et marchand d’art, Yervant Khorasandjian, vers le milieu du XIXe siècle. Il semble que l’épée avait été découverte, parmi d’autres objets, dans une zone appelée Kavak.

Mais comment cette épée avait-elle atterri dans un monastère de la lagune vénitienne? C’est sur ce point que la doctorante a dès lors concentré ses recherches, avec l’aide de la communauté arménienne mékhite qui occupe le monastère. En examinant les archives, le père Serafino Jamourlian a ainsi pu partiellement lever le mystère : l’épée était arrivée à Venise depuis Trébizonde (sur la côte de la Turquie), donnée au monastère par un collectionneur et marchand d’art, Yervant Khorasandjian, vers le milieu du XIXe siècle.

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L’épée avait été découverte, parmi d’autres objets, près de Kavak, ce qui correspond à l’aire géographique où ont été découvertes les autres épées similaires remontant au début de l’âge du bronze, permettant d’affirmer définitivement l’origine et l’ancienneté de cette arme qui, par un hasard de circonstance, s’est ainsi retrouvée à Venise.


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