La splendeur perdue de Saïs, ville de Neith et capitale des Psammétique

Sur la branche canopique du Nil se trouvait jadis la cité de Saïs, occupée aujourd’hui par la ville moderne de Sa el-Hagar. Cette cité, bien que très ancienne, reste un centre secondaire durant la plus grande partie de l’époque pharaonique. Cependant, à la Basse-Epoque (entre le XIe siècle et le VIIe siècle avant notre ère), tout change. Car Saïs devient la capitale de plusieurs pharaons, et s’affirme comme un centre culturel, politique et religieux majeur. Au point que les chercheurs ont donné le nom de « Renaissance Saïte » à cette période, qui voit l’art égyptien connaître un nouvel apogée.


Saïs, de l’époque néolithique au Nouvel Empire.

Fragments d'ébène dont les inscriptions relatent la visite du roi Horus-Aha au sanctuaire de Neith à Saïs.
Fragments d’ébènes couverts de hiéroglyphes relatant la visite du roi Horus-Aha, 2e roi de la première dynastie, mort vers -3095, au sanctuaire de Neith. Trouvés dans la tombe du roi à Abydos.

Le site de Saïs est occupé très anciennement, depuis au moins -4200, dès les périodes néolithiques et prédynastiques.

Par la suite, la cité, appelée « Sau » ou « Zau », où est vénérée la déesse Neith, atteint une importance régionale. Elle est ainsi capitale du cinquième nome de Basse-Egypte (le nome de Sap-Meh). Cependant, elle reste en retrait dans l’histoire pharaonique jusque vers -1100.


La montée en puissance de la cité à la Basse-Epoque.

Tout change alors, car durant la troisième période intermédiaire, une lignée monarchique issue de Saïs – la XXIVe dynastie – s’impose comme l’une des principales puissances du delta. A partir de -732, cette dynastie entre en conflit ouvert avec l’autre puissance dominante : les fameux pharaons noirs, qui dominent le royaume de Koush et tout le sud de l’Egypte. Las, les choses ne semblent pas tourner en faveur des Saïtes. Selon la tradition historique rapportée par les historiens Grecs, les Koushites finissent par vaincre leurs adversaires et brûlent vif leur dernier roi, Bakenranef.

Victoire de courte durée, car l’Egypte est vite confrontée à une nouvelle menace : celle de la superpuissance qui s’affirme au Proche-Orient, l’Assyrie. Le roi Assarhaddon passe à l’attaque en -677, avec un succès limité, puis de nouveau en -674. En -672, un nouvel assaut entraîne l’effondrement de la domination koushite sur l’Egypte.  Les Assyriens parviennent à avancer jusqu’à Assouan, en Haute-Egypte ! Pour assurer leur pouvoir sur le nord, les envahisseurs s’appuient sur les princes locaux du delta, et notamment ceux de Saïs.

La situation n’est pourtant pas stabilisée. Le roi koushite Taharqa, qui n’entend pas perdre l’Egypte, lance une contre-attaque couronnée de succès, et reprend tout le delta. La réaction du nouveau roi assyrien, Assurbanipal, est terrible. Il reconquiert non seulement l’Egypte, mais saccage plusieurs grandes villes, et notamment l’ancienne capitale royale de Thèbes et ses gigantesques sanctuaires en -664. Saïs passe entre les goûtes : elle est épargnée et ses princes conservent leur pouvoir sur le nord. Cependant, les Assyriens finissent par les faire exécuter, car ils continuent de comploter avec les autres roitelets et Taharqa. Un seul chef du nord est épargné, Nékao Ier, à qui les Assyriens confient Saïs.

Psammetique Ier dans la tombe de Pasaba à Thèbes
Psammetique Ier, tombe de Pasaba à Thèbes

C’est le règne du fils de Nékao Ier qui assoit la position de Saïs et ouvre sa période la plus faste. Psammétique Ier parvient en effet  à réunifier l’Egypte et à en chasser les Assyriens. Il inaugure la XXVIe dynastie, époque de grande prospérité marquée par une importante production culturelle : les historiens désignent cette période comme la « Renaissance Saïte » (-664 à -525). La ville est alors la capitale royale et le culte de sa déesse Neith s’impose comme le culte officiel du pays.

Psammétique Ier, dont le règne particulièrement long dure de -664 à -610, est également un grand bâtisseur, tout comme Ramsès II avant lui. Si le site archéologique de Saïs ne permet pas d’en juger, nombre de vestiges témoignent de son règne dans la vallée du Nil, comme par exemple la découverte récente d’un colosse à Héliopolis. Il est certain que sous son règne, Saïs devait revêtir un caractère monumental seyant à la capitale d’un grand pharaon. Le sanctuaire de Neith abrite d’ailleurs les tombes royales de la dynastie, probablement sur un concept similaire sur les tombeaux royaux retrouvés à Tanis.

Saïs demeure la capitale des successeurs de Psammatique Ier. Son petit-fils, Psammatique II, embellit sa capitale. On le sait grâce à une statue fragmentaire d’un des dignitaires de la cour, Néferibrê-Néfer, aujourd’hui conservée au Musée du Caire, et qui relate les commandes du roi pour Saïs, indiquant notamment que le pharaon fit dresser des obélisques en granite au cœur du grand temple de Neith. Il fait aussi construire sa tombe dans l’enceinte du temple – un fragment de son tombeau a été retrouvé sur le site et est aujourd’hui exposé au Louvre.

Les autres pharaons de la XXVIe dynastie, comme Apriès ou Ahmôsis II (vers -571 à -526), bien qu’assez malheureux en politique extérieure, continuent d’embellir Saïs.


Saïs à l’époque perse et ptolémaïque.

Mais une nouvelle puissance s’est affirmée aux frontières de l’Egypte, les Perses. Malgré les efforts d’Ahmôsis II pour contrer leur ascension, l’Egypte est de plus en plus menacée. Le coup fatal est porté peu après la mort du pharaon : son fils Psammétique III (-526 à -525) ne peut empêcher le souverain perse, Cambyse, d’envahir l’Egypte. Il est d’abord épargné, puis exécuté avec toute sa famille. Les Perses établissent la XXVIIe dynastie, et Saïs perd son statut de capitale et n’est plus qu’un centre régional de -404 à -399. Son prince, Amyrtée, mène la révolte contre les Perses et fonde la XXVIIIe dynastie.

Par la suite, les derniers souverains égyptiens indépendants sont originaires d’autres cités du delta, mais leurs rois continuent d’embellir le sanctuaire de Neith à Saïs. Après le retour des Perses, puis l’invasion des Macédoniens et la fondation d’Alexandrie, la cité perd de son importance et décline. Elle conserve cependant son prestige et ses sanctuaires, écoles et bibliothèques attirent encore les philosophes et savants à l’époque ptolémaïque et romaine.


Saïs, fastueuse capitale des pharaons.

Les historiens grecs et notamment Hérodote décrivent ainsi Saïs comme une « grande cité », en décrivent les nombreux temples et notamment celui de Neith, associé à Athéna, où se situeraient les tombes des pharaons – comme dans une autre capitale du delta, Tanis, où des tombes pharaoniques ont été retrouvées dans le sanctuaire d’Amon.

Les deux monuments principaux de la cité étaient le sanctuaire de Neith, qui devient la divinité officielle du pays à l’époque saïte, ainsi que le palais royal. Mais plus de 30 divinités étaient vénérées dans la ville, qui devait ainsi compter de nombreuses tombes et chapelles.


Explorations et fouilles, du XIXe siècle à nos jours.

Vue des ruines de Saïs au XIXe siècle
Vue des ruines de Saïs au XIXe siècle

Le site de Saïs est identifié dès l’expédition d’Egypte de Bonaparte. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ses vestiges sont encore visibles pour les explorateurs européens, parmi lesquels Champollion ou Lepsius. Ils voient alors encore une grande enceinte de brique, ainsi qu’une forteresse. L’industrialisation, la mise en culture systématique du delta – qui a poussé les locaux à rechercher du sebbakin, de vieilles briques de terre crue, utilisées comme fertilisant – et le pillage des antiquités par des explorateurs peu scrupuleux ont néanmoins entraîné la disparition de ces ruines dès la fin du XIXe siècle. A cette époque, Mariette et Flinders Petrie effectuent quelques sondages et fouilles, mais le site n’intéresse guère les archéologues.

Fragment de stèle in situ à Saïs.
Fragment de stèle in situ à Saïs.

Ce n’est qu’en 1993 que commencent de nouvelles campagnes de fouilles, menées par une équipe de l’université de Durham en partenariat avec le Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes. Ces recherches ont permis d’avoir une meilleure compréhension et une vision plus globale du site.

Les chercheurs ont ainsi déterminé qu’à son apogée, Saïs couvrait une zone de trois km sur un, mais que la ville s’est rétractée vers le sud à l’époque romaine, avant de devenir un simple village qui constitue le centre de la localité actuelle.

Les archéologues ont aussi probablement localisé ce qui était le palais royal de la XXVIe dynastie. L’édifice était entouré d’une enceinte gigantesque mesurant 700 mètres par 680, et pouvant atteindre jusqu’à 20 mètres de hauteur.


Monuments et découvertes archéologiques majeures à Saïs.

En mauvais été et n’ayant été que peu fouillés, les monuments de Saïs sont mal connus et les trouvailles que le site a livré, principalement au XIXe siècle, sont pour la plupart visibles dans les grands musées européens et américains.

Le sanctuaire de Neith.

Principal monument de la cité depuis l’époque pharaonique, il n’en reste cependant pas de vestiges connus. Il est cependant certain que le sanctuaire devait revêtir un caractère monumental, et l’on sait que plusieurs obélisques y ont été érigés par différents pharaons.

Les tombes des pharaons.

Fragment du tombeau de Psammétique II au Louvre, provenant de la nécropole royale dans le temple de Neith à Saïs.
Fragment du tombeau de Psammétique II au Louvre.

On sait que les tombeaux de plusieurs rois étaient situés dans l’enceinte du temple de Neith, comme c’était également le cas dans une autre capitale pharaonique, Tanis. Il est possible qu’ils aient été pillés par les envahisseurs perses. Hérodote rapporte en effet que le roi des rois perse Cambyse fit profaner le tombeau du dernier pharaon égyptien qu’il avait vaincu, Ahmosis II, et finit par faire brûler sa momie – un châtiment terrible au vu des croyances des anciens Egyptiens.

Tout ce que l’on connaît de la nécropole royale se résume de faut à un fragment du tombeau ou du sarcophage externe du tombeau de Psammétique II, qui fait partie de la collection égyptienne du musée du Louvre.

Les obélisques de Saïs à Rome et à Urbino.

Le pharaon Apriès, de la XXVIe dynastie (VIe siècle avant notre ère) avait fait élever deux obélisques jumeaux devant le temple de Neith. Transportés à Rome pour orner le temple d’Isis par Caligula ou plus tard par Domitien, ils furent par la suite séparés. Retrouvés ensemble, l’un fut érigé sur la piazza della Minerva, à Rome, sous le pontificat d’Alexandre VII (1655-1667). Le second, retrouvé brisé en trois et acquis par le cardinal Albani et conservé dans sa villa, fut ensuite donné à sa ville natale d’Urbino lorsqu’il devint le pape Clément XI. L’obélisque y fut transporté et installé en 1737.

La statuaire.

Le sanctuaire de Neith et les autres sanctuaires de Saïs étaient ornés de nombreuses statues commandées par les souverains ou les hauts dignitaires. Les archéologues en ont retrouvées certaines dans les vestiges des temples. Elles  témoignent de la qualité de la production artistique à une époque que les chercheurs ont qualifié de « Renaissance saïte ».