La Finlande restitue aux Etats-Unis des objets pris à Mesa Verde au XIXe siècle
L’actualité de ce mois d’octobre permet de revenir sur la naissance des sciences anthropologiques, ethnologiques et archéologiques au XIXe siècle et de s’interroger sur les pratiques de cette époque, tout en s’intéressant à l’une des cultures amérindiennes les plus fascinantes d’Amérique du Nord.
Le tour du monde de Gustaff Nordenskiöld.
Issu d’une famille de la noblesse suédo-finnoise comptant de nombreux explorateurs et scientifiques (son père Nils Adolf Erik réalise par exemple de nombreuses expéditions arctiques), le jeune Gustaff souffre de tuberculose et se lance à l’âge de 23 ans dans un tour du monde dans l’espoir d’améliorer son état de santé.
En 1891, il atteint la ville américaine Denver, dans le Colorado, et y voit une collection d’objets amérindiens provenant de la région de Mesa Verde qui va éveille sa curiosité. Il se rend alors à Durango et se met en contact avec une famille locale, les Wetherills, qui l’emmènent sur plusieurs sites archéologiques (dont Cliff Palace) de la Mesa Verde qu’ils ont repéré quelques années auparavant. Il va y effectuer les premières recherches « scientifiques » dans la zone, du moins comme on peut l’entendre au XIXe siècle en matière anthropologique, ethnologique et archéologique.
Au sujet des vestiges qu’il décrit, il écrira ainsi: « les ruines dans les grottes, les habitats rupestres ou plutôt les villes rupestres, sont à plusieurs égards les plus remarquables. Sur toute la longueur du Cañon Mancos et dans toutes ses subdivisions, des bâtiments de type forteresse ont été érigés avec des blocs de grès taillés sur des corniches étroites, souvent en haut des falaises, dans des situations presque inaccessibles. Ces structures, du fait de leur position sous un rocher abritant, sont très bien préservées, bien qu’elles aient été abandonnées par leurs habitants pendant plusieurs siècles, si longtemps qu’aucune de leurs traditions ne subsiste parmi les Indiens Ute qui mènent une vie nomade dans le voisinage (sic) », et émet des hypothèses sur la datation de cette civilisation : « Nous ne sommes en possession d’aucun fait qui pourrait nous permettre de tirer des conclusions quant à la datation des ancêtres des tribus Pueblos », a-t-il écrit. « C’était probablement plusieurs siècles avant la première visite des Espagnols dans leur terres. A en juger par l’état actuel de la plupart des ruines, nulle période très longue ne peut s’être écoulée depuis leur érection. »
En 1893, il publiera ainsi l’un des premiers livres au sujet de la civilisation de la Mesa Verde et des anciens Pueblos.
La culture des anciens Pueblos.
L’histoire de cette culture commence au début de notre ère et se poursuit encore aujourd’hui. Entre le XIIe et le XIVe siècle, elle connaît son apogée, marquée par le développement de vastes villages, comme dans la Mesa Verde ou dans la région du Chaco. S’ensuit une période de bouleversement, qui voit d’importants mouvements de population et l’abandon de nombreux centres, avant même l’arrivée des Espagnols.
Les vestiges impressionnants des nombreux villages de cette culture s’étendent ainsi sur un très vaste espace géographique allant de l’Utah (aux États-Unis) jusqu’au Chihuahua (au Mexique), avec des vestiges emblématiques comme le Cliff Palace ou Pueblo Bonito.
Voir aussi : les Indiens Pueblos élevaient-ils des perroquets pour leurs plumes?
L’expédition de centaine d’objets vers l’Europe.
Mais Gustaff Nordenskiöld ne se contente pas de prendre des notes : il rassemble aussi des centaines d’objets qu’il compte bien expédier vers la Suède. Parmi ceux-ci, des bols, des louches, des paniers, des pots, des tasses, des épis de maïs, des sandales tissées, des tapis, des raquettes à neige qu’il a dit avoir été faits de branches et de feuilles de yucca, des sachets (dont un rempli de sel), divers outils, flèches, metates (pierres à moudre) et bien d’autres choses encore, y compris des restes humains momifiés.
Furieux, plusieurs locaux (peut-être intéressés au trafic d’antiquités, qui prenait déjà son essor à l’époque) le font arrêter à minuit dans son hôtel de Durango pour avoir « dévastée les ruines ». Il passera la nuit en prison, mais un tribunal finira par reconnaître qu’il n’y avait aucune loi lui interdisant de s’approprier les objets ou de les envoyer vers l’Europe. A cette époque, les droits des tribus amérindiennes de la région, et bien que les vestiges se trouvent dans leur réserve, n’étaient pas pris en compte.
Cette affaire n’est probablement pas sans influence sur la ruée qui s’ensuit et le pillage généralisé des sites archéologiques de la région, qui se poursuit malheureusement encore aujourd’hui, mais elle va aussi contribuer à mettre en place les premières législations pour protéger le patrimoine.
Le président Théodore Roosevelt signe ainsi en 1906 la Loi sur les antiquités, ainsi que d’autres quant à la protection des ressources culturelles et la création du parc national de Mesa Verde.
La collection de Nordenskiöld.
Gustaff Nordenskiöld n’était déjà plus là pour le voir. A son retour en Europe, il publie son livre sur ses recherches, puis se lance dans des études minéralogiques. Mais sa santé se détériore de nouveau, et il décède dans un train en 1895, peu avant de fêter son 27ème anniversaire, 11 ans jour pour jour avant la signature de la Loi sur les antiquités aux Etats-Unis.
Sa collection est d’abord achetée par un collectionneur finnois, qui finit par en faire don à l’université d’Helsinki, d’où elle passa au musée national de Finlande qui conserve ainsi près de 600 objets de la Mesa Verde depuis lors.
La rétrocession d’une partie de la collection.
Cependant, depuis 2016, un long processus de négociation a débuté pour le rapatriement de certains objets, reconnaissant ainsi les revendications légitimes des tribus amérindiennes (en particulier de la tribu Hopi, les Pueblo d’Acoma, de Zia et de Zuni) qui considèrent avoir été illégalement spoliées de leur patrimoine. Un accord a finalement été annoncée conjointement par les Etats-Unis et la Finlande : ce dernier pays s’engage à renvoyer vers le Colorado les restes de 20 individus, ainsi que 28 objets funéraires issus de fouilles dans des tombes et qui revêtent une importance particulière pour les tribus amérindiennes.
Ces restes devraient être ré-inhumés selon les traditions de ces peuples. Le Musée national de Finlande a cependant précisé qu’il n’était pour le moment pas question que la grande majorité des 600 objets comprenant la collection ne quittent le pays.
Cette rétrocession s’inscrit dans un mouvement commun à de nombreux pays, notamment concernant les restes humains conservés dans les musées. La France a ainsi revu sa législation en la matière, et des restitutions similaires ont été effectuées, comme celle d’une vingtaine de têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2012.
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