Bubastis, cité sacrée de la déesse chat Bastet et site majeur de Basse-Egypte

Malgré son passé prestigieux, Bubastis (ou Boubastis) reste un site archéologique méconnu du delta, et aujourd’hui largement entamé par l’urbanisation. En effet, à la différence des tells de Mendes ou de Tanis, les vestiges de la cité antique ne sont pas isolés des zones de peuplement modernes. Au contraire, la ville toute proche de Zagazig absorbe lentement le site, prouvant par la-même la pertinence urbanistique de cet emplacement sur la très longue durée. Comme la plupart des sites du delta, celui de Bubastis n’apparaît pas à première vue très spectaculaire. Mais le site a donné lieu à des découvertes archéologiques intéressantes et présente un potentiel important : plongez dans la cité sacrée de Bastet.


Un site très ancien et une grande pérennité urbaine.

Le fait que le site archéologique de Tell Basta, qui correspond à l’emplacement de la ville antique, soit aujourd’hui grignoté par l’urbanisation est une preuve éclatante de la pertinence de son choix depuis les temps anciens.

Stratégiquement, la cité se situait dans l’antiquité sur la route entre Memphis au sud, et le Sinaï et le Levant, au nord-est. Mais surtout elle se trouve sur une branche du Nil, la branche pélusiaque, qui sur cette partie de son cours est restée très stable au fil des âges. C’est la principale raison pour laquelle le site est resté occupé sur une aussi longue période : le déplacement de cette même branche du Nil avait, au contraire, entraîné l’abandon de Pi-Ramsès, la capitale de Ramsès II.

Deux autres raisons, politiques et religieuses, ont aussi entraîné le rayonnement de Bubastis dans l’antiquité égyptienne. D’une part, une dynastie pharaonique de la troisième période intermédiaire, la XXIIe dynastie, est originaire de la ville. Même si elle a finalement pris Tanis pour capitale, les pharaons de cette dynastie et de la suivante font preuve d’une grande activité de bâtisseur à Bubastis.

Mais surtout, la ville est intimement liée à sa déesse tutélaire, Bastet, où se trouvait le centre de son culte. A l’époque pharaonique, Bubastis elle est d’ailleurs connue sous le nom de « Per-Bastet », le domaine de Bastet, relation qui se retrouve encore aujourd’hui dans le nom de « Tell Basta ». Or la déesse Bastet, qui a toujours été importante dans le panthéon égyptien, voit cependant sa popularité s’accroître considérablement dès avant la Basse Epoque, ce qui rejaillit sur la ville et son sanctuaire.


Bastet, d’une déesse léonine à la déesse chat.

Déesse majeure du panthéon égyptien, Bastet a connu une lente évolution durant la longue histoire égyptienne : représentée à l’origine avec une tête de lionne, elle prend peu à peu l’apparence plus clémente d’un chat ou d’une femme à tête de chat.

La double nature de la Bastet des origines.

A l’origine, la déesse est représentée avec une tête de lionne, tout comme Sekhmet. Comme toutes les autres divinités léonines, elle est considérée comme la fille du dieu-soleil Rê ; on l’identifie parfois comme « l’oeil de Rê », et elle combat le dieu-serpent Apophis, éternel ennemi de son père. Cependant, Bastet apparaît toujours moins agressive et destructrice que Sekhmet, et sa personnalité semble présenter deux aspects qui ont coexisté. Ainsi dans le texte des pyramides, vieux de plus de plus d’environ 4500 ans, elle apparaît sous sa forme de lionne, mais est aussi présentée comme une mère douce, et comme la nourrice du roi. Dans les textes des sarcophages, ces invocations inscrites sur les cercueils à partir de la première période intermédiaire (il y a environ 3000 ans) et durant le Moyen Empire, elle conserve son aspect léonin mais protège les défunts.

Le glissement vers une déesse chat plus douce.

Mais à partir de la troisième période intermédiaire, sa représentation commence à changer, et elle apparaît plus souvent sous la forme d’un chat ou d’une femme à tête de chat. Sans pour autant perdre toute caractéristique violente – par exemple en tant que « chat de Rê », elle est toujours dépeinte combattant le dieu-serpent Apophis – ou que son iconographie comme lionne ne disparaisse complètement, sa personnalité glisse vers un aspect plus doux.

A partir de la Basse Epoque et durant les époques plus tardives, elle est principalement vue comme un symbole de maternité et protège les femmes enceintes. Ce glissement s’accompagne aussi par une montée certaine en popularité, qui se poursuit à l’époque hellénistique, où les Grecs en font la contrepartie de leur déesse Artémis, et ne se dément pas jusqu’au développement du christianisme.

Les fils de Bastet : les dieux-lions Mihos et Horhekenu.

Mihos, dieu-lion guerrier.

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Statue de bronze du dieu, XXVIe dynastie (-664 à –525)

Le dieu Mihos, ou Mahes ou encore Miysis est généralement présenté comme le fils de Bastet, plus rarement de Sekhmet. Le terme Mahes, qui signifie lion, commence à être utilisé au Moyen Empire pour désigner un dieu, puis devient commun au Nouvel Empire. Comme les autres dieux-lions, il aide Rê à lutter contre le dieu-serpent Apophis. Mahes est représenté comme un lion ou comme un homme à tête de lion, vêtu d’un pagne et différentes coiffures, arborant différentes coiffures, portant souvent un couteau ou un bouquet de fleurs de lotus, attribut d’un autre fils de Bastet, Nefertum.

Cette nature belliqueuse l’a souvent fait considérer comme un dieu guerrier et gardien des lieux sacrés. Un texte grec tardif en fait même un dieu des vents, des tempêtes et de l’obscurité.

Même s’il a pu être localement une divinité importante, et que son culte s’est propagé, en particulier aux époques tardives, Mahes n’a cependant jamais atteint le poids mythologique de sa mère dans le panthéon égyptien. Le centre de son culte se trouvait à Léontopolis, mais il avait des sanctuaires ailleurs et il était probablement vénéré depuis longtemps à Bubastis aux côtés de sa mère, où Osorkon III lui fait construite un temple dans l’enceinte du sanctuaire de Bastet.

Horhekenu et Nefertem.

Horhekenu était une divinité mineure, généralement vu comme le fils de Bastet et d’Atoum et, avec sa mère et son frère Nefertem, considéré comme dieu des onguents.

Nefertem était important à Memphis, où il était vu comme le fils du dieu Ptah. Sa mère était alors Bastet ou bien Sekhmet. Il avait ainsi une nature léoline, et on le représentait avec une tête de lion ou comme un lion ou un chat allongé. Cependant, il était plus souvent dépeint comme un beau jeune homme, avec des fleurs de nénuphars bleus autour de sa tête. Les Égyptiens portaient souvent de petites statuettes le représentant comme porte-bonheurs.


Bubastis, centre du culte de Bastet.

Au Ve siècle avant notre ère, le grand temple de Bubastis fait l’admiration d’Hérodote. L’historien grec rapporte par ailleurs que la déesse y était vénérée avec ses fils, Mihos et Horhekenu et que les fêtes annuelles organisées pour la déesse comptaient parmi les plus importantes de toute l’Egypte, attirant à Bubastis des centaines de milliers de pèlerins.

Le sanctuaire de Bastet était donc le plus important de la cité antique, et en occupait le centre. Son enceinte mesurait environ 300 mètres sur 200, et rassemblait, outre le temple de Bastet proprement dit,  d’autres temples ou chapelles consacrés à des divinités moins importantes ou érigés pour les kâ ou les jubilés de différents pharaons.

Tous ces vestiges ont été principalement excavés de 1886 à 1889 par l’archéologue suisse Edouard Naville (dont les méthodes, comme celles de la plupart des chercheurs de cette époque, paraissent aujourd’hui déficientes). Mais l’état général des ruines ne permit pas d’établir le plan détaillé du sanctuaire, mais seulement ses grandes lignes.

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Vue ancienne des vestiges du portique d’Osorkon avec ses chapiteaux à tête d’Hathor.

Le temple de Bastet.

Les principales parties composant ce temple, détaillées ci-dessous, ont été construites durant la troisième période intermédiaire et la Basse-Epoque. Cependant, des blocs de diverses époque provenant d’édifices antérieurs ont été réutilisés pour ces constructions, dont les plus anciens remontent à la lointaine IVe dynastie (vers -2600 / -2500).

Le portique d’entrée d’Osorkon II (c. 872 à c. -837).

Ce pharaon libyen appartenait à la XXIIe dynastie, originaire de Bubastis et régnant depuis Tanis, où se situe son tombeau. Cet édifice assez exceptionnel fut construit en prévision de la fête-Sed, c’est à dire un jubilé commémorant en général la trentième année de règne d’un souverain. Il s’agissait d’un portail monumental en granite, orné de bas-reliefs d’une grande qualité mais usurpés par Osorkon II, puisqu’ils avaient été réalisés à l’origine pour Aménophis III, près de 500 ans auparavant.
La caractéristique la plus frappante de ce portique étaient les chapiteaux de ses colonnes, à tête d’Hathor. On les retrouve aujourd’hui dans des musées étrangers (Louvre, British Museum, musée de Boston, musée égyptien de Berlin), à par un au musée du Caire. Paradoxalement, il ne reste à Bubastis qu’un fragment de l’un d’eux.

Le cour des festivals et la grande salle hypostyle.

Cette partie du sanctuaire fut édifiée sous Osorkon III (-790 à c. -757), pharaon de la XXIIIe dynastie.

Le sanctuaire proprement dit.

Partie abritant le saint des saints et la statue de la déesse, elle fut reconstruite par Nectanébo II (-360 à ca. -342) pharaon de la XXXe dynastie.

Les temples et édifices annexes du sanctuaire de Bastet.

Autour du temple de de la déesse proprement dit se trouvaient par ailleurs d’autres structures, moins importantes, abritées dans la même enceinte et dégagées lors des fouilles de Naville.

  • Au nord se trouvait ainsi un sanctuaire rectangulaire plus petit consacré au dieu-lion Mihos, fils de Bastet, qui semble avoir été dédicacé par Osorkon III.
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Ruines du temple de l’âme de Pépi Ier.
  • A l’ouest se trouvait un temple de l’âme du roi Pépi Ier, pharaon de la VIe dynastie au long règne, autour de -2300, dont il reste deux rangées de piliers.
  • Au nord-ouest s’élevait un temple similaire pour l’âme de Téti, le père de Pépi Ier.
  • Au sud-ouest se trouvait un temple consacré à Atoum, et probablement réalisé sous le règne d’Osorkon Ier ou d’Osorkon II.
  • Des chapelles de jubilé du pharaon de la XIIe dynastie Amenemhat III (vers -1860) et d’Aménophis III (vers -1500), dont les bas-reliefs furent réutilisés pour l’entrée d’Osorkon II.
  • Un temple romain d’époque romaine, qui pourrait avoir été consacré à « l’esprit protecteur ».

Les nécropoles de chats.

A environ 200 mètres au nord du sanctuaire de Bastet s’étendaient des séries de nécropoles voûtées, construites en briques crues, et adjacentes à des ateliers. Comme dans d’autres sites de l’ancienne Egypte, des centaines de milliers (voire des millions) de momies de chats y ont été inhumées. Il s’agissait pour la plupart d’offrandes achetées par les pèlerins se rendant au sanctuaire de Bubastis et offertes à la déesse. Cette pratique serait apparue durant la troisième période intermédiaire, avant de s’intensifier à la Basse-Epoque et à la période hellénistique. Des études récentes ont d’ailleurs montré que les momies contenaient souvent seulement des morceaux d’animaux ou de plusieurs animaux, et dans des cas moins fréquents aucun restes.

En 1906, on découvrit aussi successivement dans ces nécropoles deux caches de bijoux et de vaisselle en or et en argent. Les objets trouvés dans la première se trouvent aujourd’hui principalement au Metropolitan Museum de New-York, les autres pièces se trouvant à Berlin. Ceux découverts dans la deuxième cache sont conservés au musée du Caire.


Tombes et cités des morts de Bubastis.

Des tombes de notables et d’officiels importants ont également été découvertes à Tell Basta, au nord du sanctuaire, dans ce qui est parfois appelé « la nécropole des nobles », parmi lesquelles on trouve :

  • la tombe familiale du vizir Iuti, en brique crue, découverte en décembre 1964 par l’archéologue égyptien Shafik Farid, et dont l’architecture et le contenu n’ont pas fait l’objet de publication, à l’exception de quelques objets de l’équipement funéraire, comme de shabtis de faïence et de calcite, ainsi qu’une modèle en calcite d’une palette de scribe. Iuti aurait pu exercer sous la XIXe dynastie ou plus probablement sous la XXe. Dans sa tombe a également été retrouvée un vase canope appartenant à Ay, fils de Iuti et grand prêtre de Bastet.
  • â coté de la tombe d’Iuti, se situaient les tombes familiales distinctes d’Hori I et d’Hori II, tous deux vice-rois de Koush (royaume situé au sud de l’Egypte, aujourd’hui au Soudan, qui fut tantôt indépendant, tantôt dominé par l’Egypte, à l’exception de la dynastie des pharaons noirs, ou ce fut l’inverse), remontant à la XIXe dynastie (Ramsès III (c. -1186 à -1155) et ses successeurs) et à la XXe dynastie. La tombe d’Hori II, dont les voûtes, le sol et les murs étaient en brique cuite, probablement pour protéger la sépulture contre l’humidité du delta, comportait un couloir ouvrant sur trois tombes voûtées.

Bubastis, un site en péril.

Le maintien d’une vie urbaine durant toute la période historique, qui prouve certes la valeur du site de la cité antique, constitue aujourd’hui un danger pour les vestiges archéologiques : la ville moderne de Zagazig se développe et absorbe peu à peu la zone archéologique. Aujourd’hui, près des deux tiers sont déjà sous les constructions – avec le risque de pillage et de destructions que cela comporte.

Le site fait cependant toujours l’objet de fouilles : une mission germano-égyptienne travaille à Bubastis depuis plus d’une décennie. Plusieurs découvertes intéressantes ont marqué ces travaux :

  • en 1992, une cache comportant de petites figurines d’or et de faïences rassemblées dans deux bols a été trouvée lors du dégagement de la colonnade du temple de Ramsès II.
  • en 1996, une équipe a découvert des vestiges en calcaire inconnu jusqu’alors d’une entrée remontant à l’Ancien empire, laissant penser que d’autres édifices de cette période restent à découvrir.
  • en 1997, une statue en calcaire a été trouvée à environ 300 mètres du temple de l’âme de Pépi Ier. Elle représente une femme et ses trois enfants, assis sur une chaise avec des jambes de lions, et flanquée par des babouins, et les chercheurs pensent qu’elle remonte au Nouvel Empire ou à une période plus récente.
  • lors des saisons de fouilles de 2002 et 2003, une équipe de l’université de Potsdam, menée par Christian Tietze, a découvert une statue colossale dans le temple de Bastet, en granite rose et remontant au règne de Ramsès II, très similaire à une statue de Mérytamon (fille et épouse de Ramsès II) visible à Akhmim. La statue, de 11 mètres de haut, a été restaurée et relevée à Bubastis.
  • en avril 2004 a été annoncée la découverte d’un fragment de stèle en pierre, datant de -238 dans un des temples. Il s’agit d’un décret royal de Ptolémée III mentionnant une réforme dans le calendrier égyptien. Comme la fameuse pierre de Rosette, dont la découverte a aidé au déchiffrement des hiéroglyphes, elle est inscrite en trois écritures : grec, démotique et hiéroglyphes.
  • en 2008, une grande tête de granite rouge a été retrouvée profondément enterrée au sud du grand temple, représentant Ramsès II. La statue entière aurait pu mesurer 4,5 mètres de haut, et apparaît semblable à d’autres statues du même pharaon découvertes sur le site, dont celle conservée aujourd’hui au British Museum.

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