Trois noms pour une même ville au destin prestigieux. Si la cité grecque de Byzance ne joue qu’un rôle modeste dans l’antiquité, tout change lorsque l’empereur romain Constantin la choisit pour capitale et lui donne son nom. Ce sera la nouvelle Rome : dotée de monuments dignes d’une capitale, Constantinople devient pour un millénaire le cœur l’empire byzantin, un centre majeur du christianisme et l’une des plus grandes villes du monde de l’époque. Ses fortifications redoutables, ses centaines d’églises parmi lesquelles Sainte-Sophie ou les Saints-Apôtres, ses palais somptueux, ses monuments civiques et ses industries florissantes lui assurent un prestige et un rayonnement uniques.
Mais les vicissitudes n’épargnent pas la ville : révoltes, séismes, sièges et incendies transforment la ville au cours des siècles, suivant ou marquant l’histoire tumultueuse de l’empire byzantin. En 1203-1204, le détournement de la quatrième croisade et la fondation d’un bref empire latin constituent une rupture dont l’empire byzantin, même s’il récupère Constantinople, ne se remettra pas.
En 1453, Mehmet II entre en conquérant dans la ville et en fait la capitale de l’empire ottoman. La cité entre dans son troisième âge et, d’une antique ville chrétienne et médiévale, devient une métropole turque et musulmane dominant un empire immense. Constantinople – où d’après son nom turc, Istanbul, qui devient le seul en usage à partir de 1930 – est profondément remodelée au cours des siècles suivants. Les lieux traditionnels du pouvoir byzantins sont abandonnés au profit du palais de Topkapi. Alors les sultans couvrent la ville de nombreux monuments, beaucoup églises sont converties en mosquées ou détruites pour édifier d’autres monuments. Les séismes, puis la modernité prennent aussi leur lot. En 1871, une ligne de chemin de fer est construite jusqu’au cœur de la ville historique, perçant à travers les vestiges de nombreux monuments byzantins : une partie de la muraille maritime, du palais du Boucoléon ou de l’ensemble des Manganes sont ainsi détruits.
Aujourd’hui, si Istanbul conserve encore des monuments emblématiques de son passé, il n’en reste pas moins qu’une grande partie de ses monuments, même les plus prestigieux, qui l’ornaient durant l’antiquité et le Moyen-Âge ont disparu au cours des siècles. Aujourd’hui, le défi est immense pour conserver le patrimoine subsistant, confronté à des risques multiples : reconversion de Sainte-Sophie et de l’ancienne église de la Pammakaristos en mosquées, tourisme de masse, pollution, urbanisation galopante et qui plus est, le risque d’un séisme majeur, très élevé à Istanbul à l’heure actuelle.




Pour vous faire une idée de la physionomie de la ville et de ses monuments dans les années 1200, n’hésitez pas à visiter le site Byzantium1200.
Pourtant, de nombreuses découvertes restent à faire, non seulement concernant ses monuments antiques et médiévaux subsistants, dont tous les secrets n’ont pas été dévoilé, mais aussi dans son sous-sol. Si des fouilles et des études ont ponctué le XXe siècle, le potentiel archéologique de la ville demeure néanmoins considérable, et surgit ici et là au gré des recherches et des chantiers. Mais le défi archéologique ne concerne plus seulement le cœur même d’Istanbul : la pression urbanistique exercée par cette métropole peuplée de plus de dix millions met en péril de nombreux sites archéologiques de plus ou moins grande ampleur dans toute sa région métropolitaine.
Un siècle de fouilles et de découvertes archéologiques à Istanbul et dans sa région.
Les premières fouilles archéologiques d’envergure, concernant les monuments les plus prestigieux de l’empire byzantin, sont menées dans un contexte particulier, lorsque le corps d’intervention français se trouve à Istanbul dans les années 20. Ce sont de cette époque que remontent les fouilles de certains des monuments les plus emblématiques de la cité byzantine, et où une grande partie des découvertes archéologiques sont réalisées.
Cependant les recherches se poursuivent et les découvertes successives, souvent à l’occasion de travaux, enrichissent régulièrement nos connaissances de la ville antique et médiévale. C’est surtout depuis les années 2000, alors que l’urbanisation s’étend et que de grands travaux d’infrastructures sont lancés, qu’ont été effectuées certaines des découvertes archéologiques, particulièrement byzantines, les plus remarquables.
2004-2018. Recherches et explorations archéologiques autour et sous Sainte-Sophie.
Sainte-Sophie est certainement le monument le plus symbolique d’Istanbul, un chef d’œuvre de l’architecture byzantine mais aussi un symbole aux implications politiques encore très actuelles. Cependant, l’édifice réserve encore bien des secrets. Certains ont pourtant été percés par une équipe d’archéologues dirigée par Ken Dark et Jan Kostenec, en menant des études sur le bâtiment.
En retirant des plâtres posés sur certains murs, ils ont ainsi découvert des fresques, des pavements, des mosaïques (présentant des svastikas, un décor commun dans l’antiquité) et même des marques de maçon remontant à la période antique et médiévale. Plusieurs disques de porphyre (une pierre rouge, importée d’Egypte) ont été retrouvés à plusieurs endroits. Ils marquaient les endroits où les empereurs et les patriarches devaient se tenir au cours de rituels religieux. Les cérémonies et processions, très codifiées, rythmaient la vie des empereurs byzantins.




Les recherches ont aussi permis d’en savoir plus sur le palais des patriarches de Constantinople, proche de Sainte-Sophie, mais aussi de prouver qu’un vestibule que l’on pensait avoir été ajouté à l’époque ottomane avait en fait été construite au VIe siècle, à l’époque de Justinien. Enfin, l’équipe a retrouvé de nombreux parements de marbre et pensent qu’ils revêtaient une grande partie de l’extérieur de Sainte-Sophie, rendant l’édifice brillant au soleil et augmentant sa visibilité.
Des explorations ont également eu lieu dans le réseau de tunnels et de salles se trouvant sous Sainte-Sophie. La plupart sont aujourd’hui remplis d’eau, mais les chercheurs pensent qu’il pourraient s’étendre sur une longueur totale d’un kilomètre et comprendre des citernes, des chapelles souterraines et des zones funéraires.
2010. Les fouilles du port de Théodose.

Lors des travaux de construction du Marmaray, le métro reliant Istanbul à la rive asiatique, d’importants vestiges sont retrouvés dans la zone de Yenikapı. Des fouilles y sont conduites en 2010 sur une surface totale de 85000 m². Des vestiges de l’époque néolithique sont mis au jour, ainsi que des citernes et des ateliers de l’époque ottomane. Mais ce sont surtout les restes du plus grand port de Constantinople à l’époque paléo-byzantine qui sont dégagés : celui construit par l’empereur Théodose (379-393). Très actif entre le IVe et le XIe siècle, ce port semble n’être plus accessible après cette date que pour de petites embarcations. Il est finalement complètement envasé et disparaît au XVIe siècle.
Pour une reconstitution du port (en haut à gauche de l’image), cliquez ici !
Ces fouilles constituent une découverte archéologique majeure : pas moins de 37 navires byzantins très bien conservés sont retrouvés, construits sur une période s’étalant du Ve au XIe siècles, et contenant souvent un matériel important. Les trouvailles de Yenikapi constituent ainsi l’un des plus grands répertoires de navires anciens et médiévaux jamais retrouvé, permettant une meilleure compréhension du commerce maritime de Constantinople et des techniques de construction navales à différentes périodes. Les vestiges architecturaux terrestres, tels que les digues et une partie du brise-lames, ont finalement été conservés sur le site d’origine.
1997-1998 : découverte d’une église souterraine du XIe ou XIIe siècle.

Le site est situé dans la rue Amiral Tadfil, en plein cœur de l’Istanbul, proche du Grand Palais des empereurs byzantins, et a été l’objet de recherches menées par le musée archéologique d’Istanbul en 1997-98. Deux salles souterraines, l’une au dessous de l’autre, ont été découvertes. La section supérieure, souterraine, contient un sol en mosaïque qui pourrait remonter au Ve ou VIe siècle, ainsi que les ruines d’une structure qui n’a pas être identifiée. Le niveau inférieur était probablement une église, et contient une niche décorée d’une dalle de marbre avec un petit bassin. Au-dessus se trouve une fresque assez abîmée représentant la Theotokos (Mère de Dieu en grec) tenant l’enfant Jésus. Ces aménagements pourraient remonter au XIe ou XIIe siècle. Les chercheurs pensent que le complexe pourrait être une source sacrée (appelée ayasma), qui étaient souvent associées à des monastères ou des églises importantes.
1964-1969 : Fouilles de l’église Saint-Polyeucte
Cette église et le palais attenant de Julia Anicia remontent au VIe siècle, mais ils avaient déjà disparu dès le XIe siècle. Les fouilles menées dans les années 60 ont permis de mettre à jour leurs ruines, toujours visibles dans un petit parc archéologique in situ. De nombreux éléments architecturaux, qui témoignent de la splendeur de la décoration du sanctuaire, se trouvent aujourd’hui au musée archéologique ou en remploi dans différents édifices à Istanbul ou à Venise.



Les fouilles sur le site du Grand Palais
Plusieurs campagnes sont menées sur le site de cet immense complexe palatial qui fut la résidence principale des empereurs byzantins jusqu’au XIe siècle : entre 1921 et 1923, puis entre 1935-1938 par l’Université de Saint Andrews, et enfin en 1952-1954 par David Talbot Rice. Ces dernières fouilles conduisent notamment à la découverte spectaculaire d’une salle absidiale et d’une grande cour à péristyle de 66 mètres sur 55 décorée d’un pavement de mosaïques, aujourd’hui visibles dans le musée des mosaïques du Grand Palais.



Les fouilles de l’hippodrome de Constantinople.
Les vestiges de ce lieu attenant au Grand Palais et très important pour les Byzantins sont explorés une première fois en 1927 par une mission archéologique anglaise. Dans les années 50, une autre campagne a lieu, avant que dans les années 80 les substructures subsistantes du sphendonè (terme byzantin désignant l’extrémité arrondie de l’hippodrome) ne soient dégagées des bâtiments plus modernes qui les masquaient. L’hippodrome était un lieu très important pour les Byzantins, et l’édifice était richement décoré. Cliquez ici pour voir des propositions de restitution.



Le dégagement des mosaïques de Sainte-Sophie dans les années 30.
C’est surtout grâce au travail de Thomas Whittemore, qui a fondé le Byzantine Institue of America, que de nombreuses mosaïques ont été retrouvées sous les plâtres qui les recouvraient, puis restaurées. Au milieu du XXe siècle, l’Institut procédera également à la restauration des mosaïques de l’église de Chora.



1921-1922 : les fouilles du corps expéditionnaire français.
Elles concernent surtout le quartier byzantin des Manganes, non loin du palais de Topkapi. Le corps expéditionnaire français va mettre au jour des substructures, comprenant notamment des citernes, d’une grande ampleur : 180 mètres sur 80. Ces structures, formant trois ensembles distincts, correspondent à l’un des complexes de cette zone rapporté par l’historiographie : l’église Saint-Georges et son monastère, et une résidence impériale, bâtis au XIe siècle. Si le palais avait déjà été détruit au XIIe siècle, le monastère et son église existaient toujours au début de l’époque turque. C’est probablement lorsque fut construit le Vieux Sérail, le premier palais des sultans, qu’ils furent démolis et leurs matériaux réemployés. C’est aussi certainement à cette occasion que de nombreux éléments architecturaux sculptés, qui ne pouvaient être réemployés, furent brisés et jetés dans les soubassements où les retrouvèrent les soldats français. Ainsi un chef d’œuvre de l’art byzantin, une Vierge orante brisée en 8 morceaux, aujourd’hui visible au musée archéologique d’Istanbul.
A l’extérieur des remparts, le corps expéditionnaire effectue également des fouilles sur le site d’un palais impérial byzantin, à l’Hebdomon.
1907-1909 : sondages et recherches de l’Institut archéologique russe des ruines de l’église du monastère du Stoudios remontant au Ve siècle.
1871 : la construction du chemin de fer entraîne la destruction de plusieurs monuments d’époque antique et byzantine, notamment d’une partie de l’église Saint-Georges des Manganes et du palais de Boucoléon.
Sous le sol d’Istanbul, des trésors encore à découvrir.
De nombreux monuments ont été ruinés ou détruits au cours de la longue histoire d’Istanbul. Parmi eux, certains édifices particulièrement prestigieux des époques antiques et médiévales ont presque totalement disparus de la surface. Mais leurs vestiges, peu ou pas explorés et documentés, reposent aujourd’hui sous la ville moderne. Retour sur quelques uns des potentiels champs de recherches pour les archéologues des futures décennies.
Le Palais Sacré, ou Grand Palais.
Plus que d’un ensemble unique, il s’agissait surtout d’un immense complexe comprenant plusieurs palais, sanctuaires et monuments reliés entre eux par des portiques et des jardins. Résidence principale des empereurs jusqu’au XIe siècle, le complexe est ensuite abandonné et est déjà en ruines lors de prise de la ville en 1453. Les dernières ruines du palais sont détruites au début du XVIIe siècle pour construite la mosquée du sultan Ahmet.
Cliquez ici pour vous faire une idée de ce à quoi pouvait ressembler le palais à l’époque byzantine.
De nos jours, il n’en reste plus que de maigres vestiges visibles ici et là dans le quartier Sultanahmet. Les vestiges les plus remarquables sont les ruines du palais du Boucoléon, du VIe siècle, longtemps resté à l’abandon mais dont la restauration vient d’être annoncée, et les trouvailles des fouilles menées au XXe siècle : quelques fragments sculptés aujourd’hui au musée archéologique d’Istanbul, et les mosaïques retrouvées dans les années 50. On estime que moins de 20% du site du Grand Palais a été fouillé, mais la plupart des vestiges reposent aujourd’hui sous la mosquée du sultan Ahmet ou des bâtiments de l’époque ottomane et ne sont pas accessibles.



Le palais des Blachernes.

Construit au nord de la ville, près des remparts, dans les années 500, le palais des Blachernes était utilisé occasionnellement par la cour impériale. Mais à partir de la dynastie Comnène au XIe siècle, les empereurs byzantins en font leur résidence principale. Tout comme le Grand Palais, il s’agissait plutôt d’un complexe palatial comprenant différents palais et des églises, notamment celle de Sainte-Marie des Blachernes, très célèbre au Moyen-Âge.
Cliquez ici pour vous faire une idée de ce a quoi pouvait peut-être ressembler le palais à l’époque byzantine.
Aujourd’hui, il en reste quelques vestiges adossés aux remparts de la ville, ainsi que le palais du porphyrogénète, du XIIIe siècle. Toute cette zone n’a jamais fait l’objet de fouilles archéologiques, mais est incluse dans la zone d’Istanbul inscrite à l’UNESCO.
L’église des Saints-Apôtres.
Fondée au IVe siècle, puis reconstruite au VIe siècle par Justinien, elle était la seconde église la plus importante de Constantinople après Sainte-Sophie. Elle fut aussi pendant des siècles la nécropole des empereurs et des patriarches. Au XVe siècle, l’église était déjà très délabrée et fut détruite dans les années 1460-1461. A sa place, en réemployant ses matériaux, Mehmet II fit édifier la mosquée Fatih. Les vestiges des Saints-Apôtres se trouvent donc sous cet édifice ou y sont intégrés, mais aucune recherche approfondie n’a été menée.
L’église des Saints-Apôtres serait le modèle architectural de la basilique Saint-Marc de Venise, et vous pouvez vous faire une idée de son apparence extérieure en cliquant ici.
Fouilles et découvertes dans la zone métropolitaine d’Istanbul.
Le développement urbanistique d’Istanbul et les nombreux projets d’infrastructures actuellement en cours exercent une pression constante sur les sites archéologiques nombreux autour de la capitale économique de la Turquie.
> Sur le site byzantin de Bathonea, des milliers de fragments de verre et de possibles antidépresseurs retrouvés ces dernières années au cours de fouilles.
> Un sarcophage romain découvert à Chalcédoine, sur la rive asiatique face à Istanbul.