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Au Yémen, des momies pré-islamiques victimes collatérales de la guerre civile

Le patrimoine yéménite mis à mal par la guerre

Vue de la vieille ville de Sanaa, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. La capitale du Yémen est l’une des plus anciennes cités du monde.

Alors que dans le pays, de nombreux sanctuaires soufis ont été dynamités par les militants d’Al-Qaïda, un drame plus silencieux se joue à l’université de la capitale yéménite, Sana’a. Car la ville, déjà touchée par des bombardements aériens qui a détruit une mosquée et des tours en briques séchées médiévales ainsi qu’un fort ottoman dans la vieille ville, possède un autre trésor conservé dans le département d’archéologie de son université : des momies vieilles de 2500 ans.

En effet, une douzaine de corps émaciés, en position foetale ou placés dans des paniers, témoignent de l’ancienneté et de l’éclat des civilisations qui se sont épanouies au Yémen au cours de sa longue histoire, vieille de plus de 5000 ans, qui vit s’épanouir notamment après le XIIIe siècle de nombreux royaumes locaux, dont le royaume de Saba est le plus célèbre – c’était peut-être celui de la reine qui rendit à Salomon la visite rapportée dans la Torah.

Les momies méconnues du Yémen

Or, les anciens Yéménites pré-islamiques croyaient à la vie après la mort, et considéraient la momification comme une manière d’assurer le passage vers l’au-delà. On ne sait finalement pas vraiment les raisons qui les ont poussé à tenter de préserver les corps de leurs défunts, mais il semble en tout cas, tout comme les Chinchorros, au Chili, qu’ils n’enterraient pas les momies immédiatement et les conservaient auprès d’eux.

Ce serait une expédition menée par l’américain Windol Fliees qui aurait attiré pour la première fois l’attention sur les momies du Yémen, lors de la découverte de certaines d’entre elles au temple d’Awam, à Ma’rib, en 1951-52. Cette ancienne cité, dont certains vestiges remontent à plus de 4500 ans, se situe à 120 km à l’est de Sana’a, fut la capitale du royaume de Saba. Depuis, plusieurs découvertes importantes ont été réalisées : à Shebam Al Garas, 26 momies ont été découvertes en 1983 – une seule d’entre elles est encore conservée. En 1991, d’autres ont été découvertes dans le massif Al Noman, puis en 1994, dans des grottes naturelles à Saih Bani Matar.

Vestiges du temple d’Awam, à Mar’ib, où ont été découvertes en 1983 certaines des momies conservées à Sanaa.

D’autres découvertes plus récentes ont aussi eu lieu, mais aucune étude d’envergure n’a jamais été menée. Quant à la conservation des vestiges, elle s’est révélée souvent déficiente : si une douzaine de corps ont ainsi été transportés à l’université de Sanaa, beaucoup  d’autres ont disparu et le projet de musée où abriter les momies n’a pas encore vu le jour.

Des techniques de momification avancées

Ce manque de recherches, d’études et de sauvegarde explique que nos connaissances sur la momification pratiquée par les anciens Yéménites restent assez sommaires. Naturellement, les conditions désertiques jouent un rôle dans la préservation des corps, et des momies « naturelles » (et souvent plus récentes) ont été découvertes. Mais les techniques d’embaumement pratiquées sur les momies retrouvées semblent avoir été complexes et avoir requis des connaissances médicales et scientifiques avancées pour l’époque.

Momie de femme retrouvée dans le massif de Noman, conservée à Sanaa.

Les embaumeurs retiraient d’abord les entrailles du défunt, ouvraient l’estomac et y mettaient des plantes médicinales – notamment une plante appelée Al Ra’a, qui a été retrouvée dans toutes les momies – et d’autres substances, comme de la graisse de chameau, de l’oxyde de fer et du dioxyde de soufre. Le corps embaumé était ensuite peint au henné, puis enroulé dans un linceul composé d’abord de rouleaux de soie, puis de cuir – d’autant plus nombreux que le défunt était riche. Dans certains cas néanmoins, des matériaux moins nobles comme du coton ou de la paille ont aussi été utilisés. Enfin, le corps du défunt était habillé avec soin et paré de nouvelles chaussures, de vêtements et de bagues pour repousser les mauvais esprits.

Si nos connaissances ne sont pas assez poussées pour pouvoir comparer ces techniques avec celle de l’Egypte pharaonique, la civilisation contemporaine (et géographiquement la plus proche) ayant aussi pratiqué la momification, les différences en matière de coutumes funéraires sautent en revanche aux yeux : alors que les Egyptiens édifiaient des tombes richement ornées et enterraient leurs morts avec de nombreuses offrandes funéraires, nous permettant à la fois de connaître les défunts mais aussi leur mode de vie, les anciens Yéménites n’avaient pas les mêmes pratiques funéraires : leurs momies n’étaient souvent accompagnées que d’une petite arme, de nourriture et d’une bague. Pourtant, les matériaux employés pour la momification, coûteux, indiquent que les anciens Yéménites ne manquaient pas de moyens – la modestie relative de leurs pratiques funéraires serait donc peut-être plutôt à mettre sur le compte de leurs croyances.

Des momies aujourd’hui menacées de disparition

Dans le département d’archéologie de l’université de Sanaa, quelques unes de ces momies yéménites risquent aujourd’hui d’être les victimes collatérales du conflit qui déchire le pays. A cause des fréquentes coupures d’électricité, les machines maintenant les conditions optimales à leur conservation ne fonctionnent plus que temporairement, et les produits chimiques utilisés tous les six mois pour les traiter ne sont plus livrés. Des bactéries ont dès lors commencé à se développer, et les momies commencent à se décomposer.

Or la situation ne semble pas pouvoir se débloquer prochainement. Le manque de fonds alloués à l’université, la fermeture de l’aéroport de Sanaa et la situation de quasi-blocus des ports de la mer Rouge empêchent de faire venir les produits chimiques qui pourraient endiguer leur dégradation.

Patrimoine méconnu et négligé du Yémen, ces momies qui ont traversé les millénaires témoignent d’un passé aussi lointain que fascinant. Les conflits d’aujourd’hui risquent malheureusement fort de les faire disparaître à jamais, les laissant emporter leurs mystères avec elles.

 

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