Et si les volcans avaient joué un rôle dans le déclin de l’Égypte de Cléopâtre ?
Pendant longtemps, l’histoire classique n’a pas pu, faute de données scientifiques suffisantes, prendre en compte l’ensemble des facteurs ayant pu influer sur les sociétés humaines. Elle a alors développé une école de pensée dans lequel l’expansion et la chute des royaumes et empires était souvent seulement liée aux capacités et décisions de leurs dirigeants.
Mais depuis quelques décennies, de nombreuses études ont mis en lumière l’influence parfois décisive des climats sur l’évolution des sociétés. Le petit âge glaciaire et son impact sur les colonies vikings du Groenland ou d’Islande, ou encore l’influence du climat sur les invasions mongoles ou sur l’effondrement de la civilisation classique Maya n’en sont que quelques exemples.
Aujourd’hui, une nouvelle étude s’intéresse au rôle qu’auraient pu jouer les volcans sur la destinée de l’un des grands royaumes de l’antiquité : l’Égypte des Ptolémée et de Cléopâtre.
Une série d’éruptions volcaniques et leurs conséquences.
Une étude publiée le 17 octobre dernier par une équipe de chercheurs de l’université de Yale, menée par l’historien Joseph Manning, dans Nature Communications considère que les difficultés et le déclin connus par la dynastie lagide, qui règne sur l’Égypte après la mort d’Alexandre le Grand à partir de -323 et jusqu’à la mort de Cléopâtre en -30, pourraient être liés à une série d’éruptions volcaniques.
Mais comment ? Tout simplement car l’impact de ces éruptions aurait influé sur les moussons estivales qui alimentent le Nil et causent ses crues. Or l’Égypte antique était extrêmement dépendante de ces crues, qui procuraient le limon nécessaire aux cultures et le reste jusqu’à la construction des premières digues au XIXe siècle, puis aux grands chantiers hydrauliques comme le barrage d’Assouan dans les années 60. Une crue trop ou pas assez importante pouvait signifier des récoltes calamiteuses, entraînant par contrecoup famines et troubles sociaux. Les habitants des zones affectées pouvaient de plus se déplacer vers les villes à la recherche de nourriture, déstabilisant encore davantage une société fragilisée.
Ces éruptions volcaniques auraient ainsi créées les conditions menant à une ère de révoltes périodiques, pesant très lourd sur le destin global du royaume ptolémaïque.
Comment les éruptions volcaniques modifient-elles le climat ?
Pour en arriver à cette conclusion, l’équipe de chercheurs a commencé par comparer les registres du niveau du Nil (si importants qu’ils sont enregistrés scrupuleusement depuis 622) avec les éruptions volcaniques, imprimées dans les glaces du Groenland et d’Antarctique depuis le premier millénaire avant notre ère. Et ils en ont conclu que les couches de cendre dans les carottes de glace signalant les années ayant connu des éruptions majeures correspondent aussi à des années où la crue du Nil s’est révélée moins importante.
Pour tenter de mieux cerner l’impact de ces éruptions sur l’Égypte ancienne, les chercheurs ont alors simulé les changements climatiques s’étant produits après cinq éruptions majeures du XXe siècle.
On savait déjà que des éruptions puissantes, en dégageant des nuages de gaz sulfuriques et des kilomètres cubes de particules dans l’atmosphère, peuvent en effet avoir un impact considérable sur les températures et refroidir la terre, en reflétant la lumière solaire vers l’espace. L’explosion du Pinatubo, en 1991, a été la plus importante du XXe siècle, et celle sur laquelle on dispose du plus gros volume d’informations, car elle a été enregistrée avec des appareils modernes. Ainsi, l’acide sulfurique libéré lors de l’éruption a entraîné une diminution de la luminosité de l’ordre de 10% à la surface terrestre, provoquant une chute de la température moyenne au sol d’environ 0,4 degrés à l’échelle planétaire.
Mais l’équipe de recherche considère aussi que les éruptions volcaniques peuvent aussi perturber les moussons en déplaçant et affaiblissant la zone de convergence intertropicale, une ceinture de basse pression près de l’équateur qui définit les schémas de précipitation des régions avoisinantes. La pluviométrie des régions d’Afrique, où le Nil prend sa source, est alors modifiée. Ces chocs hydroclimatiques, liés à des éruptions de volcans pouvant se situer à des centaines ou à des milliers de kilomètres, ont eu des répercussions majeures sur la vallée du Nil, où la crue du fleuve a pu être complètement absente durant plusieurs années consécutives. En revanche, is ne sont pas parvenus à savoir où auraient pu se trouver les volcans causant ces modifications.
Là où les Lagides auraient joué de malchance, c’est qu’à leur époque, des explosions de l’ampleur de celle du mont Pinatubo se sont parfois produites deux ou trois fois par décennies…
L’explication de la fin d’une guerre ?
Les chercheurs ne disposaient pas nécessairement d’informations aussi suivies sur l’état des crues durant l’époque ptolémaïque qu’à partir de 622, mais les sources écrites de cette période sont cependant assez fournies et détaillées. En croissant les données issues de l’analyse des carottes glaciaires avec ces témoignages du passé, ils ont pu les relier à différents événements, et apporter ainsi un éclairage supplémentaire à l’histoire traditionnelle.
S’ils n’ont pu établir de relation entre les éruptions volcaniques et le déclenchement de guerres – qui restent souvent liés à des facteurs politiques – ils sont parvenus à connecter au moins une fois l’arrêt d’un conflit à un événement volcanique.
En -245, la soeur de Ptolémée III, Bérénice, est assassinée au cours de conflits dynastiques dans l’empire séleucide. Son frère utilise se prétexte pour envahir son puissant voisin. Ses campagnes militaires sont couronnées de succès, puisqu’il atteint l’Euphrate et Babylone. Pourtant, il prend soudainement la décision d’arrêter les hostilités et de rentrer en Égypte – certaines sources historiques rapportent qu’il fut rappelé vers ses terres, d’autres qu’il dut retourner dans la vallée du Nil pour mettre fin à une sédition.
Or les chercheurs ont mis en lumière que cet événement coïncidait avec deux éruptions volcaniques majeures. Pour les chercheurs, les troubles qu’elles auraient indirectement causé auraient forcé le roi à rentrer. Ils y voient « la seule explication crédible pour l’abandon d’une campagne militaire à ce point couronnée de succès ».
Les éruptions, cause d’instabilité et de révoltes.
Mais les chercheurs ont surtout constaté que le début des périodes de troubles et de révoltes mentionnés dans les sources pouvait être mis en relation avec certaines éruptions volcaniques. En interrompant les crues du Nil, parfois sur plusieurs années, ces éruptions ont certainement désorganisé la société de l’époque. Des familles ont pu être forcées de quitter leurs terre, par incapacité de payer leurs impôts ou d’assurer leur subsistance. Ainsi, certaines sources contemporaines d’une révolte suivant une éruption en -209 déclarent que “la plupart des fermiers étaient morts et la terre était desséchée”. Pour chercher à subvenir à leurs besoins, beaucoup ont dû chercher refuge en ville, accroissant ainsi les tensions existant déjà dans la société ptolémaïque.
Les chercheurs ont aussi constaté que les troubles et révoltes survenant à la suite de ces éruptions trouvaient parfois leur apogée dans la seconde année. D’après eux, cette latence pourrait peut-être refléter les efforts à court terme des autorités, comme l’ouverture des greniers à céréales ordonnée par deux fois par Cléopâtre après deux éruptions, en -46 et -44.
L’instabilité politique, la famine et la sécheresse semblent avoir en effet atteint des sommets sous le règne de cette reine, vers -44, lorsque l’on enregistre une puissante éruption explosive de l’Etna, en Sicile. Les écrit historiques de cette époque signalent que les crues du Nil étaient insuffisantes, et que le pays était en proie “à la famine, aux épidémies, à l’inflation, à la corruption administrative, à une dépopulation des campagnes, à une migration et un abandon des terres”. Un sinistre tableau.
Bien sûr, les auteurs de l’étude ne prétendent pas que les éruptions volcaniques puissent tout expliquer. Mais, en perturbant les crues du Nil, elles auraient été un important facteur d’instabilité jouant un grand rôle dans l’affaiblissement de la dynastie ptolémaïque et le passage de l’Égypte sous domination romaine après le suicide de Cléopâtre en -30.
Alors qu’a contrario, l’époque romaine – d’un point de vue volcanique – se révèle bien plus calme…