Mystérieuse statue de femme vieille de 3000 ans sur le site d’une capitale néo-hittite
Déesse ou reine, qui était la femme représentée par une majestueuse statue dont les restes ont été découverts à Tayinat ? Ce site archéologique situé à l’extrême sud-est de la Turquie, près de la frontière syrienne, était le centre d’un des royaumes dits néo-hittites qui succédèrent à l’empire hittite au début de l’âge du fer.
Une statue monumentale.
Ce sont des archéologues de l’université de Toronto qui sont à l’origine de la découverte. En fouillant la zone de la porte menant vers la partie supérieure de la forteresse, ils ont découvert le fragment d’une statue monumentale de basalte. Long de 1,1 mètres, il représente la tête et la partie supérieure d’un torse féminin ; le reste n’a pas été retrouvé. Le visage est mutilé, mais on peut toujours voir des boucles surgissant de sous un châle couvrant la tête, les épaules et le dos.
La statue gisait face contre terre, dans un lit épais d’éclats contenant des fragments de ses oreilles, de son nez et de son visage, dont la découverte permettra probablement de restaurer la majorité, voire la totalité, de ses traits. Parmi les fragments se trouvaient aussi d’autres sculptures retrouvés précédemment dans la zone. En effet, la porte de Tayinat était probablement décorée d’une parure monumentale dont faisait notamment partie l’impressionnante statue du roi Suppiluliuma, dont une partie extrêmement bien préservée a été retrouvée en 2012.
Kalunua, capitale du royaume néo-hittite de Pattina.
Les bords de l’Oronte sont un vieux foyer de civilisation. Aujourd’hui, la ville d’Antakya (Antioche dans l’antiquité et au Moyen-Âge) en est le plus grand pôle urbain. Mais durant l’âge du bronze, au IIe millénaire avant notre ère, c’est à une vingtaine de kilomètres plus à l’est que s’épanouit la cité d’Alalakh.
L’effondrement qui marque la fin de l’âge du bronze – et voit la chute de la plupart des grands empires de l’époque, dont celui des Hittites qui dominait la zone – entraîne aussi la destruction d’Alalakh, probablement par les peuples de la mer. Le site est définitivement abandonné.
Mais c’est à peine à quelques centaines de mètres d’Alalakh, sur le site actuel de Tell-Tayinat, que la cité de Kalunua s’épanouit au début de l’âge du fer. Elle est alors probablement la capitale d’un des royaumes qui naissent des débris de l’empire hittite : celui de Pattin, établit vers -1000, et que le roi Suppiluliama gouverne au début du IXe siècle avant notre ère.
Qui était la femme représentée ?
Son identité n’est pas déterminée, mais plusieurs hypothèses sont avancées par les archéologues. La première, qu’il s’agirait d’une représentation de la déesse Kubaba, la mère divine des dieux de l’ancienne Anatolie.
Pourtant, des indices stylistiques et iconographiques laissent plutôt penser qu’il s’agit d’une représentation humaine. Or on ne sait rien des femmes de cette époque, dont les sources historiques n’ont pas conservé la mémoire. A une exception près : celle de Kupapiya, matriarche importante qui aurait vécu plus de cent ans, connue par une inscription découverte il y a une cinquantaine d’années près de Hama, en Syrie. Elle était l’épouse de Taita, le roi de Palistin, royaume antérieur à celui de Pattin qui en revendiquait peut-être l’héritage.
La statue découverte la représentait-elle ? Ou bien plutôt l’épouse du roi Suppiluliama, dont les deux statues auraient pu se faire pendant dans la décoration monumentale de la porte de citadelle ? On ne le saura peut-être jamais, mais la découverte de cette statue laisse penser que les femmes jouaient peut-être un rôle plus important dans les vies religieuses et politiques des communautés du début de l’âge du fer que ce que l’on pensait jusqu’alors.
Les portes monumentales, un espace de transition.
La découverte de cette sculpture souligne le caractère innovant et la sophistication culturelle des cultures indigènes de l’âge du fer qui s’épanouissent dans la région après l’effondrement de la fin de l’âge du bronze et la chute de l’empire hittite, mais aussi les continuités avec les époques antérieures.
La présence de lions, de sphinx et de statues colossales à la porte de la citadelle de la capitale poursuit en effet une tradition hittite et souligne le rôle symbolique de cet espace de transition, frontière entre l’élite dirigeante et ses sujets. Mais entre le IXe et le VIIIe siècle, ces entrées monumentales sont aussi utilisées comme des lieux de parades dynastiques, visant à légitimer le pouvoir et l’autorité de la classe gouvernante.
Rien d’étonnant que les portes monumentales de Kalunua n’aient pas survécu à la destruction du royaume néo-hittite de Pattin. Car au VIIIe siècle, l’empire assyrien est à son apogée et s’étend dans toute les directions. A l’ouest, il soumet les royaumes syriens à son autorité : en -738, Tayinat est conquise. La cité est ravalée au rang de capitale provinciale, avec un gouverneur. Les portes semblent alors être détruites et la zone, pavée, devient la cour centrale d’un sanctuaire assyrien. A cette occasion, il est possible que les sculptures aient fait l’objet d’une désacralisation organisée et aient été rituellement défigurées et enterrées : c’est ce que suggère les mutilations que comportent la statue féminine, ainsi que le fait que les fragments aient été enterrés ensembles.
Une désacralisation qui ne serait peut-être pas passée inaperçue : certains chercheurs pensent en effet que la cité de Calneh, dont la destruction est mentionnée dans le Livre d’Esaïe, partie de l’Ancien Testament, pourrait être celle de Kalunua.