Un crâne de babouin, témoin des expéditions égyptiennes vers le mystérieux pays de Pount
Les échanges commerciaux et expéditions égyptiennes vers une terre restée longtemps mystérieuse, le pays de Pount, sont bien attestés par les textes hiéroglyphiques et les représentations figurées sur les monuments. Il procurait des produits exotiques très prisés des Egyptiens, rapportés sur les inscriptions : or, encens, myrrhe, résine, métaux, bois durs, peaux de léopards et animaux exotiques. Longtemps, les chercheurs ont hésité à savoir si ce pays fabuleux n’était pas une terre de légende.
D’après les textes disponibles, les égyptiens ont commencé à se rendre vers le pays de Pount il y a environ 4500 ans – la première expédition aurait eu lieu dès l’Ancien Empire, sous le règne du roi Sahourê (Ve dynastie, XXVe siècle avant notre ère). Les échanges se poursuivent pendant près de 1000 ans. Une expédition restée fameuse a eu lieu à l’époque de la reine Hatshepsout, au XVe siècle avant notre ère. Par la suite, les échanges se poursuivent peut-être par voie terrestre, l’Egypte ayant repoussé ses frontières vers le sud et dominant épisodiquement la Nubie.
La localisation exacte du pays de Pount a longtemps été un sujet de débat entre chercheurs. Certains y voyait un royaume arabe situé directement de l’autre côté de la mer Rouge, face au Sinaï. D’autre défendaient l’idée qu’il se situait dans l’Arabie heureuse (Yémen actuel), sur la côte africaine de la mer Rouge, ou encore des deux côtés. Aujourd’hui encore, la question n’est pas définitivement tranchée, même si la plupart des chercheurs s’accordent à pencher pour la côte africaine, dans une région couvrant aujourd’hui l’Erythrée, la côte soudanaise ou le nord de la Somalie (où un Etat moderne semi-indépendant a d’ailleurs repris le nom de Puntland).
Mais peu de traces archéologiques ont été retrouvées de ces importations, et la localisation de ce territoire énigmatique reste discutée. C’est là qu’entre en scène un babouin, vieux de 3300 ans, appartenant à l’espèce hamadryas. Les restes de l’animal avaient été découverts par les archéologues au XIXe siècle, dans l’ancienne capitale égyptienne de Thèbes. Il dormait depuis dans les collections du British Museum. C’est là qu’un primatologue du Dartmouth College Nathaniel Dominy et ses collègues, l’ont redécouvert et étudiés.
Or cette espèce de babouin n’est pas originaire d’Egypte : ce spécimen, ou ses ancêtres s’il était né en captivité, devait donc avoir été importés.
Pourquoi les Egyptiens se seraient-ils donné la peine de faire venir ces animaux ? Probablement car les babouins hamadryas étaient considérés comme l’une des incarnations de Thot, le dieu de la sagesse, également associé au Soleil levant. Les babouins hamadryas poussent en effet des cris territoriaux au lever du soleil, comme s’ils acclamaient l’apparition de l’astre.
Pour savoir d’où le babouin retrouvé à Thèbes provenait, les chercheurs ont étudié les isotopes chimiques présents dans l’émail des dents du babouin pour trouver des indices sur le lieu de naissance de l’animal. En effet, le sol et l’eau d’une région présentent un rapport spécifique d’isotopes de strontium. Cette signature isotopique reste bloquée dans l’émail des dents au cours des premières années de la vie de l’animal, et reste inchangé même si l’animal passe le reste de sa vie ailleurs.
Or, le rapport de stronium dans l’émail des dents a confirmé que le babouin en question n’était pas né en Egypte. En revanche, une étude comparative du taux de strontium chez 31 babouins modernes d’Afrique de l’Est et de la péninsule arabique suggère que l’animal était né dans une région s’étendant de l’Érythrée à l’Éthiopie et au nord-ouest de la Somalie.
Cela correspond à la région où la plupart des chercheurs situent le pays de Pount, ce qui laisse penser que le babouin a été ramené de cette région. L’université de Boston a d’ailleurs fouillé entre 2001 et 2011 un site appelé Mersa ou Wadi Gawasis sur la côte égyptienne de la mer Rouge. Ils y ont retrouvé une inscription en pierre de 2800 ans documentant une expédition vers le Pount. Ils ont par ailleurs retrouvé des fragments de poterie d’un style caractéristique des basses terres soudano-érythréennes, vraisemblablement importé du Pount. Des fragments d’ébène et d’obsidienne retrouvés sur le site pourraient eux aussi provenir du Pount. Mais cette attribution est débattue, et le babouin pourrait donc constituer la première preuve archéologique formelle des expéditions des Egyptiens vers ces contrées.
Qu’il le soit ou non, l’identification de son origine et sans aucun doute un pas important pour mieux comprendre les échanges avec le pays du Pount, et confirmer de façon plus précise sa localisation.