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Découverte des plus grandes cités perdues précolombiennes d’Amazonie en Equateur

Des relevés aériens ont révélé l’existence des plus grandes cités précoloniales d’Amazonie jamais découvertes, reliées par un vaste réseau de routes. Ces découvertes s’ajoutent à l’identification dans les années précédentes de nombreuses structures anciennes, alors que l’Amazonie pourrait en contenir des milliers d’autres.


La forêt amazonienne, une zone peuplée à l’époque préhispanique.

On suppose souvent que la forêt amazonienne a été largement épargnée par l’homme avant que l’explorateur italien Christophe Colomb n’atteigne les Amériques au XVe siècle. En fait, les premiers Européens ont rapporté avoir vu de nombreuses fermes et villes dans la région. Ainsi, une expédition menée fin 1541 par l’Espagnol Francisco de Orellana, accompagnée de quelques dizaines d’hommes dont le dominicain Gaspar de Carvajal qui tient la chronique de ce périple, rapporte la présence de nombreux villages et de centres urbains.

Ces rapports, longtemps ignorés ou considérés comme des affabulations, ont été confirmés au cours des dernières décennies par la découverte d’anciens travaux de terrassement et de vastes sols sombres créés par les agriculteurs. Selon une estimation, la population précolombienne de l’Amazonie aurait pu pourtant se monter à 8 millions de personnes, et compterait des milliers de sites engloutis par la végétation, tout comme certaines cités perdues incas sur le versant occidental des Andes.

Les dernières recherches, en cours depuis les années 90, se concentrent sur la vallée de l’Upano, dans la partie amazonienne de l’Equateur, au pied des Andes. Elles sont le fait d’une équipe française menée par Stéphane Rostain, du CNRS. Des traces d’anciens peuplements y ont été découvertes pour la première fois dans les années 1970, mais seule une poignée de sites ont été fouillés. Par le passé, les chercheurs avaient conclu que la zone était peu habitée à l’époque préhispanique. Mais l’étude des chercheurs du CNRS vient bouleverser cette vision des choses.


Des établissements comparables aux villes Mayas.

En 2015, l’équipe de Rostain a réalisé une étude aérienne à l’aide d’un lidar, une technique de balayage laser qui permet de créer une carte 3D détaillée de la surface sous la plupart des végétaux, révélant ainsi des éléments qui ne sont normalement pas visibles. Les résultats, qui viennent seulement d’être publiés, montrent que les colonies étaient beaucoup plus étendues qu’on ne le pensait.

Ils montrent de fait la présence de vastes établissements, comparables en taille aux sites mayas. Ces anciennes cités aujourd’hui englouties par la jungle auraient entre 1500 et 3000 ans, et seraient donc également plus anciennes que les autres cités jusqu’alors connues en Amazonie.

Dans l’ensemble, la zone étudiée au cours de l’étude couvre une surface d’environ 300 km². Elle comptait cinq établissements importants, et plus de 6000 plateformes de terre surélevées.


Des milliers de plateformes disséminées dans la jungle, témoignant de l’existence de « cités-jardins ».

La plupart de ces plateformes mesurent environ 10 mètres sur 20, pour 2 mètres de haut. Des fouilles sur le site de certaines d’entre elles ont révélé des trous de poteaux et des foyers. C’est pourquoi les chercheurs pensent qu’il s’agissait d’habitations. Cependant, certaines plateformes ont des dimensions beaucoup plus importantes – la plus grande mesure 40 mètres sur 140, pour 5 mètres de haut. Celles-ci devaient abriter des bâtiments monumentaux, utilisés pour les cérémonies.

Il s’agit du plus grand complexe d’habitations de grande taille découvert jusqu’à présent en Amazonie ».

Charles Clement, de l’Institut national de recherche amazonienne de Manaus, au Brésil.

L’ensemble de ces découvertes dressent en fait le portrait de « cités-jardins », selon les termes de Stéphane Rostain, en raison de leur faible densité de bâtiments. Par endroits, les chercheurs ont également trouvé des traces de structures défensives telles que des fossés, ce qui indique que ces sociétés n’étaient pas nécessairement pacifiques, et qu’il a pu y avoir des conflits entre les groupes.

Les populations locales construisaient en pierre et en bois, car la pierre n’était pas présente en abondance. Par conséquent, les vestiges sur place sont moins impressionnants que les architectures en pierre des Mayas ou des Incas, ce qui ne doit pas laisser penser que les sociétés de l’Upano aient été moins élaborées. La population de la vallée d’Upano, si elle est difficile à estimer, pourrait se situer dans une fourchette de 15 à 30000 habitants.

Cela montre un degré de complexité et de densité de peuplement sans précédent pour cette période précoce ».

Michael Heckenberger de l’Université de Floride.

Un paysage anthropisé parcouru de routes rectilignes.

Autour des plateformes se trouvaient des champs, dont beaucoup étaient drainés par de petits canaux creusés autour d’elles. A l’époque, le paysage de la vallée a donc été presque entièrement modifié par ses occupants. L’analyse des poteries suggère que le maïs, les haricots, le manioc et les patates douces étaient cultivés.

L’étude a également révélé un réseau de routes rectilignes créées en creusant la terre et en l’empilant sur les côtés. La plus longue s’étend sur au moins 25 kilomètres, mais pourrait se poursuivre au-delà de la zone étudiée. La plus large atteint 10 mètres. Or, les populations qui occupaient la vallée se sont donné beaucoup de mal pour rendre les routes droites, explique Rostain. Par exemple, à certains endroits, ils ont creusé jusqu’à 5 mètres de profondeur plutôt que de suivre les courbes de niveau. Les routes avaient donc probablement une signification symbolique, puisqu’il n’y avait aucune raison pratique de les rendre droites, une caractéristique que l’on retrouve aussi dans la civilisation maya.

Une étude des vestiges de la vallée d'Upano en Equateur a conduit à la découverte des plus vastes cités précolombiennes connues en Amazonie.
Carte au LiDAR, sur laquelle le tracé des routes est bien visible

Une disparition mystérieuse.

Les raisons qui ont causé la disparition de ces villes et des populations qui les habitaient ne sont pas claires. Dans le reste de l’Amazonie, de nombreux villages ont été abandonnés après l’arrivée des Européens, probablement parce que les maladies et la violence déclenchées par les envahisseurs ont tué une grande partie de la population.

Cependant, tous les artefacts d’Upano datés par l’équipe de Rostain ont plus de 1500 ans. Cela suggère que les établissements de la vallée ont été abandonnés après cette période, entre 300 et 600 de notre ère, et donc bien avant l’ère coloniale. Les raisons de cet abandon ne sont pas claires, mais l’équipe a trouvé des couches de cendres volcaniques. Une hypothèse possible serait ainsi qu’une série d’éruptions du volcan Sanguey ait forcé les habitants à quitter la vallée.


Quelles que soient les raisons de leur disparition, la complexité et l’échelle des accomplissements de la civilisation de l’Upano sont comparables à d’autres civilisations plus connues, comme les Mayas. Et remettent en cause notre compréhension de l’Amérique préhispanique, ou le mythe d’une forêt vierge. Au contraire, le peuplement de la région amazonienne était bien différent de ce que l’on supposait jusqu’alors, et peut-être s’agissait-il d’un centre plutôt que d’une région périphérique.

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