Découverte de fresques médiévales chrétiennes uniques à Dongola, au Soudan
Un œil non averti pourrait ne pas reconnaître l’importance de l’ancienne Dongola, nichée au bord du Nil, dans le désert du Sahara oriental, dans le nord du Soudan. Le site a été complètement désertée depuis le XIXe siècle, lorsque toute sa population s’est déplacée loin de là, ne laissant que les ruines qui parsèment aujourd’hui le paysage. Mais à l’époque médiévale, la cité était la capitale d’un des royaumes chrétiens les plus puissants de la Nubie : le royaume de Makurie.
Pour les archéologues polonais qui fouillent le site archéologique depuis 1964, le Vieux Dongola est un trésor apparemment inépuisable. En mars, les chercheurs qui y travaillent ont mis au jour les vestiges d’un temple datant de près de 3 000 ans ; avant cela, c’est la découverte d’une vaste cathédrale médiévale qui avait été annoncée. Ce mois ci, une découverte accidentelle a permis de mettre au jour un ensemble de peintures chrétiennes médiévales sans précédent.
Des fresques uniques dans l’art nubien médiéval.
En effet, les chercheurs travaillant sur le site ont trouvé par hasard un mystérieux complexe de chambres ornementées sous les planchers d’un bâtiment plus récent. Ces pièces relativement petites sont construites en briques séchées et couvertes de voûtes et de dômes ; l’une d’entre elles en particulier ressemble à une crypte, bien qu’elle soit située beaucoup plus haut que ce à quoi on pourrait s’attendre dans ce cas. Or cette découverte pourrait contribuer à réécrire notre compréhension de l’histoire de la région, car les murs de ces pièces sont recouverts par des fresques que les experts décrivent comme des « représentations uniques » de l’art chrétien médiéval.
Les fresques se trouvent sur plusieurs panneaux. Sur l’un d’eux, la vierge Marie est représentée dans une robe sombre, tenant une croix et un livre. Sur le mur opposé se trouve une image de Jésus, tenant un livre dans une main et offrant une bénédiction à l’assistance de l’autre.
Sur un autre panneau, un roi nubien s’incline devant le Christ et lui baise la main, tandis que l’archange Michel les protège de ses ailes. L’équipe rapporte que ces images « n’ont aucun parallèle dans la peinture nubienne » connu à ce jour.
Mais ce n’est pas tout. En effet, les peintures sont accompagnées d’un élément tout aussi important : une série d’inscriptions qui nous donne un contexte sur l’histoire et la motivation possible de ces œuvres d’art. Certaines de ces inscriptions sont rédigées en grec, ce qui n’est pas surprenant dans un contexte religieux. Les archéologues les ont identifiées comme étant des extraits de la Liturgie des Dons Présanctifiés, un service chrétien oriental célébré pendant les jours de la semaine du Grand Carême. Les autres sont rédigées en vieux nubien, et c’est là que les choses deviennent plus intrigantes. Elles sont beaucoup plus difficiles à déchiffrer que les inscriptions en grec, mais le peu que l’équipe a réussi à comprendre fait plusieurs fois référence à un roi appelé David, ainsi qu’un appel à Dieu pour qu’il protège la ville – il s’agit très probablement de Dongola elle-même.
Mais pourquoi Dongola aurait-elle eu besoin de la protection divine ?
Les troubles du XIIIe siècle et le saccage de Dongola.
Les chercheurs pensent que les peintures pourraient s’expliquer dans le contexte de la chute de Dongola. L’histoire de la Makurie est relativement bien connue en comparaison de celle des autres royaumes de la région. Pour la période médiévale et la fin de ce royaume, l’historien arabe Ibn Khaldoun est une source très importante.
Or, il relate qu’un roi nubien serait arrivé au Caire vers 1272 ou 1276 pour demander l’aide au sultan mamelouk Baïbars Ier dans une querelle dynastique contre son neveu David, qui aurait usurpé le pouvoir. Par différentes sources, on sait qu’un certain David avait attaqué la ville portuaire d’Aidhab sur la mer Rouge en 1272 et en avait ramené de nombreux prisonniers et un riche butin. En 1275, le roi David attaque plus directement l’Egypte – une de seules attaques nubiennes directe recensée au Moyen-Âge, pille Assouan et détruit les roues hydrauliques sur le Nil, une des bases de l’agriculture égyptienne. Il ramène de cette expédition de nombreux prisonniers et un riche butin. Ces deux David pourraient être le même personnage, représenté sur les fresques nouvellement découvertes.
Face à ce danger venu du sud, les Egyptiens alors dominé par les Mamelouks voient dans la demande du roi déchu une occasion favorable pour envahir la Nubie. Baïbars Ier envoie en janvier 1276 une armée vers le sud, se déplaçant des deux côtés du Nil à la fois et remontant occasionnellement le fleuve par bateau. Deux batailles à Gebel Adda et sur l’île de Meinarti sont défavorables aux Nubiens qui ne parviennent pas à empêcher leur avance.
Les fresques découvertes pourraient avoir été réalisées dans ce contexte, alors que Dongola était confrontée à l’avancée des Mamelouks et se préparait à un siège imminent – ou peut-être même en cours – des forces égyptiennes mamelouks. Si c’est le cas, l’invocation à la protection divine s’est révélé inefficace.
Car le 31 mars 1276, les soldats égyptiens atteignent Dongola et remportent une nouvelle victoire contre les Nubiens, qui prennent la fuite. confrontation finale voit les Nubiens s’enfuir.
Les troupes victorieuses saccagent la ville et en brulent une partie, dont une église que le roi David avait fait construire pour commémorer la prise d’Aidhab. Le roi David s’enfuit, tandis que les Egyptiens font prisonnier son frère, les femmes de la famille royale et de nombreux princes. Ils placent un certain Shékanda sur le trône de Makurie. Les troupes mamelouks reviennent au Caire avec un riche butin et 10000 esclaves nubiens. Le roi David, finalement livré par le roi d’al-Akwab chez lequel il s’était réfugié, arrive un peu plus tard les fers aux pieds.
A partir de ce moment, la Makurie devient un vassal de l’Egypte et voit les sultans s’immiscer constamment dans ses affaires, marquant le déclin de la Nubie chrétienne.
Une préservation des fresques difficile.
En plus de son importance dans l’art nubien, cette découverte pourrait donc aussi être cruciale pour éclairer le début de la fin du royaume de Makurie. En attendant, la priorité des chercheurs a été la préservation des découvertes. À cette fin, une équipe de conservation a déjà travaillé d’arrache-pied sur le site, sécurisant les fresques avec des bandes de protection et des mastics et remplissant les espaces vides entre le mur et le plâtre avec un liquide d’injection jusqu’à ce que les fouilles puissent se poursuivre.
Le travail dans ces espaces très restreints, dans les températures très élevées à cette époque de l’année au Soudan, et sous la pression du temps, a été très exigeant. L’équipe rapporte que les peintures se sont détachées du murs à certains endroits, même si la couche peinte était en elle-même remarquablement bien conservée.
L’équipe travaillant sur le site espèrent que d’autres fouilles, qui reprendront à l’automne apporter plus de réponses sur cette structure énigmatique et pourront confirmer ou infirmer s’il s’agit d’un complexe commémoratif royal.