Avant les pharaons, les plus vieux zoos du monde découverts à Nekhen
Il compte parmi les sites confidentiels de la vallée du Nil. Mais pourtant le site archéologique de Nekhen, appelé par les Grecs Hierakonpolis, détient des clefs précieuses pour comprendre les origines de la civilisation égyptienne. Car à l’époque prédynastique, avant les premiers pharaons enregistrés par les sources historiques, Hierakonpolis est la capitale de la Haute-Egypte et le centre du culte du dieu faucon, Horus.
Or, les fouilles archéologiques menées en 2009 sur le site de Nekhen jette une nouvelle lumière sur cette période. Dans les tombes de l’élite de cette ville, les archéologues retrouvent des restes d’animaux momifiés, datant d’il y a 5000 ans, qui ont beaucoup à nous apprendre. Et pour cause : ils témoigneraient de la présence des plus anciennes ménageries du monde !
Nekhen, une des plus anciennes cités d’Egypte.
Située le long du Nil, au sud de Louxor, la ville est appelée Nekhen par les Égyptiens (le nom grec, « Hierakonpolis », signifie « Ville du Faucon », en référence au dieu Horus à tête de faucon). En l’espace de 500 ans, elle est devenue l’une des villes les plus grandes et les plus animées de l’Égypte prédynastique, prospérant bien avant que le pays ne soit unifié et gouverné par des pharaons. Sous le paysage sablonneux qui domine aujourd’hui la région se cachent les vestiges de la société de cette époque, dont la découverte livre de précieux renseignements sur la formation de la civilisation des pharaons.
>> Pour en savoir plus sur Nekhen – Hierakonpolis, l’ancienne cité du dieu faucon.
Ainsi, les archéologues ont retrouvé d’immenses cuves en céramique, témoignant d’une importante capacité de brassage à un niveau véritablement pré-industriel. Ils ont aussi retrouvé un centre cérémoniel situé devant un sanctuaire monumental. Mais ce sont surtout les fouilles des nécropoles qui ont livré de passionnantes informations sur la société de l’époque. Il y avait des cimetières distincts pour les différentes membres de la société, montrant que la stratification sociale était déjà avancée à l’époque. Par ailleurs, les archéologues ont retrouvé des organes et des corps embaumés, suggérant que les anciens habitants de Nekhen commençaient à pratiquer des formes de momification. De riches offrandes funéraires ont aussi été retrouvées, contenant notamment des poteries et des masques funéraires.
Mais une autre découverte a intéressé les archéologues : celle de milliers d’ossements animaux.
Les restes du plus vieux zoo du monde ?
Or, ces ossements ne correspondent pas à ceux résultant d’une consommation alimentaire. Au contraire, certains animaux ont été inhumés aux côtés des membres de l’élite de la société. Les archéologues ont ainsi retrouvé les restes d’un babouin, de deux éléphants, dont un couvert de cosmétiques et accompagné d’une perle d’améthyste et d’un bracelet en ivoire, de nombreux chats et chiens, d’un léopard, de deux crocodiles, d’aurochs (une espèce éteinte de taureaux sauvages), d’hippopotames, de gazelles, chèvres, vaches et d’autres animaux divers. Plusieurs de ces animaux, comme les éléphants, ne vivaient pas dans la région de Nekhen et ont dû être capturés beaucoup plus au sud.
La variété et l’abondance des espèces retrouvées distinguent Nekhen de tous les autres sites égyptiens où de telles trouvailles ont été faites. Il semble en effet que les animaux y aient joué un rôle différent, et les chercheurs pensent que certains pourraient avoir été des animaux de compagnie. Ils pourraient aussi avoir été des offrandes sacrificielles de choix, chassées et capturées pour leur pouvoir spirituel, alors que la plupart des anciennes divinités égyptiennes étaient associées à des animaux, comme Bastet, révérée à Bubastis, ou Thot, dont le culte se trouvait à Hermopolis.
La comparaison aux zoos modernes doit cependant être relativisée. Les chercheurs doutent que les animaux détenus en captivité par les membres de la haute société égyptienne de cette époque disposaient de leur propre espace de liberté. Les restes d’un babouin pourraient témoigner d’une réalité plus sombre : certains des os de sa main et du pied étaient cassés et ont partiellement cicatrisées, ce qui pourrait suggérer que les fractures ont eu lieu alors que l’animal était en captivité, et pourraient même être le résultat d’un châtiment. Un autre exemple est celui d’un jeune hippopotame, dont la jambe était cassée. Des os d’antilopes et de vaches sauvages présentent aussi des blessures qui pourraient résulter d’avoir été attachés.
Des offrandes sacrificielles pour l’au-delà.
Mais même si ces animaux ont pu souffrir durant leur détention, ils étaeint manifestement aussi des objets d’une certaine vénération, et considérés comme dignes d’accompagner leurs maîtres dans la mort. Certains d’entre eux ont été retrouvés soigneusement inhumés, comme les humains.
Mais des ossements animaux n’ont pas seulement été retrouvés dans les nécropoles, mais aussi dans d’autres zones du site. Là non plus, ils ne portaient aucune des marques normalement associées à la boucherie et à la consommation. Les archéologues ont notamment retrouvé de nombreux ossements d’hippopotames et de crocodiles, ce qui laisse penser que ces animaux étaient sacrifiés rituellement. Tous deux représentaient en effet la puissance et le chaos du Nil et de son environnement, dont Nekhen dépendant pour sa survie, mais dont des crues trop fortes pouvaient aussi ravager brutalement à la cité. D’autres animaux, comme les hyènes rayées, les renards fennecs, des tortues, des gazelles, des bubales, des bouquetins et des moutons de barbarie ont également probablement servi d’objets de sacrifices – même si certains ont probablement aussi été mangés. Ces sacrifices étaient censés symboliser la maîtrise du chaos et de la nature.
Comme l’a écrit un groupe de scientifiques à propos de leurs recherches, il se passait quelque chose de spécial à Nekhen: « Les animaux de grande taille, dangereux et rares acquis, apparemment au prix de grands efforts, font qu’il est impossible d’expliquer l’endroit comme étant simplement un site de boucherie ou une zone de festin ».
Bien que ces pratiques puissent apparaître cruelles à nos yeux, il faut aussi chercher à comprendre la relation qui unissait les anciens Egyptiens aux animaux. Ceux-ci occupaient une place majeure dans leur imaginaire : leur figure apparaît ainsi dans presque 25% des hiéroglyphes, la plupart des dieux égyptiens étaient associés à des formes animales. Ainsi, il faut plutôt envisager que les animaux n’étaient pas envisagés comme des créatures subordonnées qu’il fallait protéger ou personnifier ; ils étaient puissants et avaient une influence sur le monde. Leur sacrifice était alors envisagé comme une aide, afin que l’animal devienne un intermédiaire entre les hommes et les dieux.
Qu’ils soient gardés dans des ménageries, sacrifiés pour maîtriser la nature ou enterrés avec leurs maîtres, les animaux étaient au cœur de la vie à Hiérakonpolis
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