Découverte archéologiqueFranceOccident médiéval

La tombe intacte d’un abbé momifié de Saint-Médard de Soissons

Après la tombe du chancelier Rolin à Autin, voilà une nouvelle découverte qui va ravir les amateurs d’archéologie médiévale. Cette fois, direction Soissons, où l’histoire commence presque comme dans un conte archéologique. Sur le site de l’ancienne abbaye royale mérovingienne de Saint-Médard, des archéologues du XXIe siècle organisent une journée découverte. Des enfants grattent et trouvent une plaque gravée, considérée d’abord comme un parement. Mais les archéologues, intrigués, vont y regarder de plus près : ils découvrent alors une sépulture médiévale intacte et particulièrement bien conservée, occupée par un abbé mort au tout début du XIIIe siècle. Retour sur une histoire peu ordinaire, qui met en lumière l’une des abbayes les plus importantes du début du Moyen-Âge.


L’abbaye Saint-Médard, une abbaye royale ancienne et prestigieuse.

La fondation de l’abbaye est initiée vers 560 par le roi franc Clotaire Ier, le fils aîné de Clovis, qui fait bâtir une basilique pour abriter les reliques de Médard, le premier évêque de Noyon. Associée à une résidence royale, l’abbaye devient un haut lieu de la monarchie mérovingienne et accueille les même les tombes de deux rois.

L’Evangéliaire de Saint-Médard, élaboré au IXe siècle dans le scriptorium de l’abbaye, témoigne de son rayonnement culturel à l’époque carolingienne.

En 751, le premier roi carolingien, Pépin le Bref, est couronné à Soissons. L’abbaye continue de rayonner sous la nouvelle dynastie, et sert de cadres à des événements importants. Ainsi en 833, lors de l’épisode connu comme la « pénitence de Soissons », où l’empereur Louis le Pieux est contraint par son fils Lothaire de confesser ses crimes et à abdiquer le trône dans l’abbaye. Ou bien lorsque Pépin II d’Aquitaine y est enfermé pendant deux ans, ou encore lorsque la reine Ermentrude y est couronnée en 866.

Mais la dislocation de l’empire met à mal l’abbaye : les Normands la pillent et la brûlent au IXe siècle, puis les Hongrois la détruisent au Xe siècle. Ce n’est qu’au XIe siècle que la protection des Capétiens permet à Saint-Médard de renouer avec la prospérité. Un ambitieux programme de reconstruction et d’extension est alors mené jusqu’au XIIIe siècle.

A la fin du Moyen-Âge, l’abbaye et son bourg, protégés de remparts, couvrent une surface gigantesque de 18 hectares, soit à peu près la taille actuelle du Champ-de-Mars à Paris.


Déclin et disparition de l’abbaye de Saint-Médard.

Mais la guerre de cent ans met fin à cette époque faste, avant que les guerres de religion ne portent un coup terrible à Saint-Médard. Dévastée par les Protestants en 1567, l’abbaye est à ce point ruinée qu’on envisage sa suppression. Elle est finalement relevée au début du XVIIe siècle et se maintient jusqu’à la Révolution. Son destin suit celui de centaines d’édifices religieux : vendue comme bien national, ses bâtiments sont presque entièrement détruits. A partir de 1803, une résidence bourgeoise est installée sur le site, dont les jardins recouvrent une grande partie des ruines, permettant leur préservation, que ne remet pas en question l’installation d’une institution caritative à partir de 1840.

De l’abbaye, il ne reste aujourd’hui en surface que quelques rares vestiges, notamment ses remparts. En revanche, en sous-sol, l’immense crypte de l’abbaye et les celliers du réfectoire sont parvenus jusqu’à nous.

>> Profitez d’une superbe visite virtuelle de la crypte de Saint-Médard.

Le potentiel archéologique du site sommeille cependant jusque dans les années 80. La municipalité de Soissons envisage alors de construire un groupe scolaire dans l’ancienne enceinte monastique. Des fouilles de sauvetage sont lancées, qui aboutissent à la découverte des ruines de la principale église de l’abbaye, que l’on pensait complètement disparue à l’époque révolutionnaire.

Le projet de construction sur le site est alors abandonné, et des recherches ont lieu dans les années suivantes. Elles permettent de démontrer que la crypte, l’un des rares vestiges conservés de l’abbaye, a été construite en même temps que l’église. Les données disponibles ne permettant pas de trancher clairement, la datation oscille selon les spécialistes entre le IXe et le XIe siècle.

Le site est quelque peu délaissé par la suite, jusqu’à ce que sa protection et des recherches soient relancées à partir de 2016. En 2018 et 2019, le site est numérisé et cartographié, afin de préparer de nouvelles fouilles, qui ont commencé à l’automne 2020. L’objectif : affiner la datation de la construction de l’église et mettre fin au débat. C’est dans ce cadre qu’a été effectué la découverte archéologique qui nous occupe aujourd’hui.

>> Si vous voulez participer à la préservation des vestiges de l’abbaye par l’intermédiaire de la Fondation du Patrimoine.


Un abbé mort en 1206 et naturellement momifié.

Mais en levant la dalle de parement, les archéologues ont eu la surprise de découvrir que la tombe n’avait pas été pillée, et était fermée quasiment hermétiquement par cinq pierres. Son contenu était dans un extraordinaire état de conservation : un corps momifié, portant des chaussures, une crosse en bois (symbole de son statut d’abbé) et revêtu d’un manteau d’apparat brodé d’or. La tête, quant à elle, était protégée par une collerette de plomb et reposait sur une pierre inclinée qui lui servait d’oreiller. Les chercheurs pensent qu’il s’agit du corps de l’abbé Albéric de Braine, mort le 3 mai 1206.

« C’est extrêmement rare d’avoir des inhumations habillées dans cet état. Sur la dépouille a été déposée une collerette en tôle de plomb qui masque son visage. Pour l’instant, on n’a pas encore d’équivalent sur ce mode d’inhumation », explique Jérôme Haquet, archéologue au CNRS Orient & Méditerranée.

D’autres éléments sont remarquables : selon Denis Defente, archéologue responsable du chantier de fouille, le manteau « a dû être somptueux, si on arrive à le sauver, cela va être extraordinaire ».

L’ensemble de la sépulture a été prélevée et placée dans un caisson étanche, direction le laboratoire ARC-Nuccléart au CEA de Grenoble. La dépouille et ses vêtements y sera irradiée pour stopper la dégradation des éléments organiques, avant la poursuite de la fouille « en laboratoire », qui commencera en 2021 et s’accompagnera de datation au carbone 14 et d’analyses ADN, afin d’en apprendre le plus possible sur la momie tout en la préservant. Les chercheurs pourront ainsi peut-être comprendre la raison pour laquelle une collerette de plomb a été placée sur le visage du défunt, et s’il s’agit bien d’Albéric de Braine.

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