Knossos et l’invention de la civilisation minoenne
Knossos (ou Cnossos) est un site archéologique situé sur l’île de Crète, en Grèce. Il s’agit du plus important site de la civilisation minoenne, une culture de l’âge du bronze qui s’est épanouie en Crète et dans le bassin égéen entre -2700 et -1450. Au XIXe siècle, il n’en restait plus qu’un souvenir dans les sources de la littérature grecque classique. Mais au XIXe siècle, l’archéologue britannique Sir Arthur Evans va mener des fouilles extensives et méthodiques sur le site archéologique de Knossos. Il met alors au jour la capitale politique et religieuse des Minoens, et contribue non seulement à la redécouverte de cette civilisation fascinante, mais aussi à son invention en tant que concept historique.
Knossos et la Crète, un enjeu archéologique au XIXe siècle.
Les textes de la Grèce antique faisait de la Crète un des hauts lieux de la civilisation grecque. Des mythes importants y restaient attachés : la Crète était le lieu de la naissance de Zeus ; Europe, enlevée par ce dieu ayant pris la forme d’un taureau est emmenée sur l’île d’où elle baptise tout le continent, le roi légendaire Minos, le labyrinthe construit par Dédale et hanté par son Minotaure, Athènes soumise à la Crète et livrant chaque année sept jeunes hommes et sept jeunes filles en pâture au Minotaure, Thésée qui finit par tuer le monstre avec l’aide de la fille de Minos, Ariane. Homère parlait des cent villes de Crète dans l’Iliade et l’Odyssée.
Cette importance dans les sources classiques contraste grandement avec les vestiges visibles sur l’île aux XIXe siècle. A part les ruines romaines de Gortyne et les vestiges vénitiens à Candie (aujourd’hui Héraklion), il n’y a pas grand chose à voir. Les voyageurs européens s’intéressent d’ailleurs dans un premier temps assez peu à la Crète. Ce n’est que dans le dernier tiers du XIXe siècle que les archéologues vont commencer à s’y intéresser plus sérieusement.
Vers 1880, les archéologues sont de plus en plus nombreux à visiter l’île, et des découvertes commencent à laisser penser que le passé de la Crète est complexe. La fondation des instituts de recherche par les grandes puissances – école française d’Athènes en 1846, écoles américaines et anglaises dans les années 1880 – va entraîner une concurrence pour les sites les plus prestigieux, comme Delphes et son sanctuaire d’Apollon. Par ailleurs, les fouilles de Schliemann à Troie en 1870 puis à Mycènes en 1884 suscitent un grand intérêt en Europe, et font apparaître la réalité d’une civilisation développée avant la Grèce classique, assimilée au monde d’Homère. La Crète devient aussi une terre convoitée pour obtenir les droits d’exploitation des endroits les plus prometteurs, alors que de nombreux archéologues s’y intéressent et entrevoient le grand potentiel archéologique de l’île. Après tout, puisque les légendes se vérifiaient à Troie et à Mycènes, elles pouvaient s’avérer vraie pour la Crète, où Homère comptait 90 villes. Naturellement, celle que le poète citait comme sa capitale, Knossos, générait un intérêt particulier.
Le site de la ville, dans un endroit appelé Kephala, devint l’objet d’une lutte diplomatique et politique. Dès 1878, un grec du nom de Minos (sic) Kalokairinos y avait fait des fouilles, mettant au jour des pithos (grands vases utilisés pour stocker des liquides ou des denrées). Cependant, la Crète est encore sous domination ottomane. L’intérêt de différentes puissances et archéologues, y compris Schliemann, reste lettre morte. Une bataille se joue finalement pour l’achat des terrains, entre les Français et Evans pour l’Angleterre. C’est finalement lui qui parvient à acheter une partie importante des terrains du site en 1899. Dans le même temps, la Crète devient autonome sous le contrôle des grandes puissances européennes. Les conditions sont désormais réunies pour que les fouilles débutent à Knossos : elles commencent le 23 mars 1900.
Les fouilles du palais minoen de Knossos.
Evans va mener les fouilles sur le site de Knossos pendant 6 ans, en grande partie sur des fonds privés de sa famille. Les fouilles durent de 15 à 20 semaines chaque années et mobilisent entre 50 et 300 ouvriers. Ces importants moyens permettent de dégager les ruines du grand palais, sur une surface de 13000 m². D’autres sites secondaires sont également explorés : une route minoenne, le petit palais, la villa royale, une partie de la nécropole nord, un important temple-tombeau et quelques maisons.
Dès la première année, les découvertes sont importantes : une salle du trône – considérée comme la plus vieille d’Europe – décorée de fresques, mais aussi des centaines de tablettes d’argiles portant les traces d’une écriture jusqu’alors inconnue, auquel Evans donne le nom de linéaire B. D’autres documents en écriture hiéroglyphique et en linéaire A s’y ajoutent par la suite.
La saison de fouilles de 1901 est l’une des plus spectaculaire et des plus difficiles, avec le dégagement du grand escalier de l’aile est, qui conserve encore trois volées. Pendant huit jours, des mineurs grecs venus de la région du Laurion creusent et étayent des galeries au fur et à mesure de leur avancée.
En 1902, des pièces en faïence sont retrouvées prouvant que les maisons minoennes comportaient plusieurs étages. Puis en 1903, dans l’aile ouest, deux caches sont découvertes recelant de l’or, de l’ivoire et la célèbre statuette de la déesse aux serpents.
Evans n’est pas le seul à fouiller en Crète à cette époque. En parallèle, l’Ecole anglaise d’Athènes met au jour les vestiges de la ville minoenne de Knossos, à Gypsades. D’autres archéologues travaillent aussi sur d’autres sites minoens de l’île : Phaistos, Haghia Triada par les Italiens, ou Mochlos parmi de nombreux autres.
Knossos et la naissance de la civilisation minoenne comme concept historique.
Ces recherches et ces découvertes avancent considérablement les connaissances de l’époque et établissent sans discussion possible l’existence d’une civilisation autochtone et extrêmement avancée. Cependant, dans un premier temps, Evans pense trouver des vestiges mycéniens, comme Schliemann en Grèce continentale. Il relie ses découvertes à Homère et le monde scientifique envisage la Crète comme le centre de la civilisation mycénienne. Mais il se rend vite compte que ses trouvailles ne cadrent pas avec les connaissances accumulées alors sur la civilisation mycénienne.
Le palais de Knossos n’est pas fortifié, à la différence des palais mycéniens aux murs cyclopéens, comme à Mycènes ou Tirynthe. A la différence de l’art mycénien, il retrouve peu de représentations de guerriers ou de scènes militaires. Même la céramique a des caractéristiques différentes de celle Des Mycéniens.
Ces comparaisons font douter Evans. Il pense d’abord se trouver en présence d’une variante régionale et autochtone de la civilisation mycénienne. Mais finalement, confronté à l’abondance d’éléments sans comparaison possible avec les Mycéniens, il finit par considérer qu’il s’agit d’une civilisation différente, et surtout antérieure. En 1905, Evans déclare : « Le Mycénien n’est qu’un rejeton attardé du Minoen ».