Rare mosaïque du héros troyen Enée et de la reine Didon trouvée en Turquie
Lors de fouilles dans le cadre d’un chantier de construction dans la ville de Kadirli, dans la province d’Osmaniye au sud de la Turquie, les archéologues ont dégagé une grande mosaïque au thème inédit. Elle représente en effet le héros troyen Enée, figure homérique et personnage principale de l’épopée de Virgile, l’Enéide, ainsi que Didon, reine de Carthage. Remontant au IIIe siècle de notre ère, elle décorait une villa romaine de la ville antique de Flaviopolis (aujourd’hui Kardili), dont il reste par ailleurs peu de vestiges visibles.
Enée, un héros troyen considéré comme l’ancêtre légendaire des Romains
Enée est un personnage légendaire qui apparaît dans l’Iliade et différents autres écrits et légendes. Prince troyen, il est le fils d’Anchise et de la déesse Aphrodite. Lors de la prise de Troie par les Grecs, il parvient à fuir la cité en portant son père sur son dos. Il commence alors une longue errance qui l’emmène en Italie, où il serait l’ancêtre des Romains.
Virgile, s’appuyant sur ces mythes, écrit entre -29 et -19 une longue épopée, chef d’œuvre de la littérature latine : l’Enéide. Elle raconte l’histoire d’Enée depuis la chute de Troie, son errance en Méditerranée et notamment son passage à Carthage, où la reine Didon s’éprend de lui, avant qu’il ne finisse par s’établir dans le Latium. A l’époque de la rédaction du roman, Auguste a pacifié l’empire romain. En donnant une justification mythologique à l’œuvre politique de Jules César, qui prétendait descendre d’Enée (et de Vénus, la version romaine d’Aphrodite), l’Enéide souligne aussi la légitimité de son neveu, Auguste, et de la famille impériale.
Une mosaïque représentant la scène de chasse de l’Enéide.
Sur la mosaïque est représentée une scène du roman. Au cours de son voyage, Enée se rend à Carthage, ville nouvellement fondée par la reine Didon. Celle-ci, à l’instigation de Junon et de Vénus, tombe amoureuse du héros. Ils partent chasser ensemble, et finissent par consommer leur amour dans une grotte. L’histoire d’amour finit tragiquement – Enée doit partir pour accomplir sa destinée, et Didon se suicide, non sans maudire son amant et sans jurer une haine éternelle entre Carthage et les descendants de Troie (donc les Romains, expliquant ainsi les guerres puniques).
Sur la mosaïque, on peut voir la scène de chasse, avec les noms écrits en grec permettant d’identifier les personnages. A gauche se trouve Enée, représenté à cheval, avec une lance, portant un bonnet phrygien – une description correspondant à d’autres modèles antiques. A sa droite se trouve la reine Didon, elle aussi à cheval, un chien à ses côtés. Elle aussi brandit une lance en direction d’un lion, gibier royal par excellence. Encore à droite, une troisième figure en partie disparue représentait Askanios, le fils d’Enée.
Les chercheurs turcs à l’origine de la découverte soulignent qu’aucune autre représentation similaire n’est parvenue jusqu’à nous, rendant cette mosaïque unique. Par ailleurs, la qualité visuelle de l’œuvre rivaliserait avec les célèbres mosaïques de la ville antique de Zeugma, près de Gaziantep, comptant parmi les plus belles qui nous soient parvenues de l’antiquité. Une mosaïque de la villa romaine de Low Ham, en Angleterre, date du IVe siècle et figure cependant la scène de chasse montrant Didon, Enée et Askanios, mais d’une manière assez différente.
Néanmoins, les représentations issues ou inspirées par l’Enéide constituaient un thème artistique relativement fréquent, dont des représentations variées nous sont parvenues sous différents formats. La mosaïque de Kadirli vient donc encore élargir ce corpus avec une scène inédite.