Les médailles romaines du trésor de Vindelev et l’élite de l’antiquité tardive
Le trésor de Vindelev est l’un des plus importants trésors en or jamais découvert au Danemark. Parmi les objets qui le composent se trouvent notamment quatre médaillons romains remontant au IVe siècle. Des chercheurs danois considèrent que c’est la preuve que la zone de Vindelev abritait au début du Moyen Âge une famille très importante, liée à des réseaux internationaux, à mettre en parallèle avec la découverte récente d’une bague mérovingienne à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest.
Retour sur la découverte d’un des plus grands trésors en or du Danemark.
C’est en décembre 2020 que Ole Ginnerup Schultz et Jørgen Antonsen découvrent grâce à un détecteur de métal le trésor de Vindelev. Ils retrouvent au total 23 pièces, dont quatre médaillons romains du IVe siècle de notre ère, 13 bractéates d’or nordiques de la seconde moitié du Ve siècle (les bractéates sont un type de monnaie ou de médaille où l’empreinte est en relief et le revers en creux, apparus dans l’ère nordique, et notamment en Scandinavie du sud, durant l’âge du fer germanique). L’ensemble du trésor en or pèse 795 grammes.
Les autorités sont prévenues et par la suite, le musée de Vejle a pu prouver que le trésor se trouvait dans une zone d’habitation où les maisons, datées par carbone 14, remonteraient au VIe siècle. Les chercheurs pensent que le trésor aurait pu être disposé à cet endroit comme une offrande en relation avec les deux crises du milieu du VIe siècle, qui comptent parmi les plus violentes que les hommes aient eu à affronter. La première est la catastrophe climatique de 535-536, un refroidissement brutal, parfois appelé « petit âge glaciaire de l’antiquité tardive », qui pourrait être dû à une éruption volcanique sous les tropiques ou à l’impact de débris spatiaux, et entraîna des récoltes calamiteuses et des famines. La seconde, qui découle en partie de la première, est la terrible peste de Justinien, qui se répandit vers 540 et décima la population de l’époque.
Les quatre médailles romaines du trésor de Vindelev.
Durant l’antiquité, les Romains frappent de nombreuses médailles, notamment au IVe siècle de notre ère. Ils sont frappés comme des pièces de monnaie, entre deux poinçons, mais sont de plus grande taille et commémorent généralement des événements particuliers, comme ceux célébrant la visite de Caracalla à Pergame retrouvés récemment en Bulgarie.
Les médailles de Vindelev remontent elles aussi au IVe siècle de notre ère et ont été émises par les empereurs Constantin le Grand (306-337), Constans (337-350), Valentinien Ier (364-375) et Gratien (367-383). Le IVe siècle est une période charnière pour l’empire romain. Il connaît en effet un nouveau système politique, la Tétrarchie, dans lequel le territoire est divisé et confié à plusieurs empereurs régnant simultanément, et qui aboutit finalement à la partition de l’empire en deux : empire romain d’Orient et empire romain d’Occident. Par ailleurs, Constantin est le premier empereur à faire une place officielle au christianisme, sans remettre en question une large partie de l’héritage païen, comme en témoigne l’édification d’un temple pour le culte impérial dans la ville de Spello. Il décide aussi de déplacer le centre de gravité de l’empire vers une nouvelle capitale : Constantinople, aujourd’hui Istanbul. Certains médaillons de Vindelev reflètent ces changements : ainsi, la médaille de Gratien montre des personnifications des deux villes de Rome et de Constantinople, assises côte à côte.
La découverte simultanée des quatre médailles du trésor de Vindelev est remarquable. En effet, jusqu’à présents, seuls sept médailles romaines ont été retrouvés dans le pays : deux de grande taille, deux de taille moyenne, et une petite. Toutes ont été trouvées individuellement à l’exception d’une seule, découverte à Gudme, qui faisait partie d’un trésor comprenant plusieurs pièces d’or romaines.
Il faut noter que les quatre médailles de Vindelev, produites dans l’empire romain, ont toutes été transformées en pendentifs dans des ateliers situés hors de l’empire. L’objectif était de les rendre portable, probablement pour servir de parures féminines. Par ailleurs, les quatre médailles présentent de grandes différences d’usure, ce qui montre qu’elles n’ont pas été conservées ensemble, comme un seul bijou, mais ont connu des destins différents et ont été échangées plusieurs fois. Enfin, les médailles d’or et les pièces de monnaie romaines sont devenus des modèles pour des imitations localement fabriquées. Dans les pays nordiques, elles ont aussi inspiré les motifs frappés sur les bractéates.
La preuve d’un réseau entre les puissants européens à l’âge du fer.
Les chercheurs du Musée National ont récemment publié une étude dans la revue internationale Chronique Numismatique (Numismatic Chronicle). Helle Horsnæs, qui est à l’origine de cette recherche, a notamment étudié les quatre médailles et avance qu’elles ont probablement été données en cadeau, ou en dot, dans le cadre d’un réseau européen de personnalités importantes dans la partie non-romaine de l’Europe. Un des membres de ce réseau aurait donc séjourné dans une résidence à Vindelev, où le trésor a été trouvé, une surprise pour les chercheurs.
Il y a d’autres découvertes passionnantes d’or dans la région du Jutland de l’Est, mais Vindelev est tout simplement plus important sur tous les plans. Nous n’avons aucun signe qu’il y aurait une base de pouvoir à Vindelev à cette époque, il est donc surprenant pour nous de trouver des objets qui ne reflètent pas seulement un pouvoir local, mais aussi des connexions internationales. […] Cela place vraiment Vindelev sur la carte de l’Europe et place le propriétaire au plus haut niveau européen.
Helle Horsnæs
On considère généralement que les grandes médailles d’or étaient utilisées par le palais impérial romain comme cadeaux pour les personnages les plus importants de l’empire, comme les principaux sénateurs ou généraux. Les médailles plus petites auraient pu être des cadeaux pour les personnalités de second plan, appartenant par exemple à l’ordre équestre.
Le fait que les quatre médailles aient été émises par des empereurs différents indique qu’il ne s’agit pas d’un cadeau direct reçu de l’empereur romain. Les médailles ont été échangées plusieurs fois, comme cela s’est produit pour d’autres médailles en Europe du Nord. Elles ont pu être transmises en héritage, comme une sorte de joyaux familial.
Enfin, l’une des médailles a particulièrement retenu l’attention d’Helle Horsnæs. En effet, elle a été frappée avec le même poinçon qu’une autre médaille, trouvée elle à Zargozyn, en Pologne. Les deux médailles se seraient donc suivies hors de l’empire romain, après quoi elles ont toutes deux reçues des anneaux dans le même atelier pour les transformer en pendentifs. Ensuite, l’une a pris la route de la Pologne et l’autre du Danemark, probablement via différents détours. Pour Helle Horsnæs, c’est une preuve supplémentaire que le réseau européen du Ve et VIe siècle était déjà très étendu, et que son élite était connectée sur de longues distances.
Crédits photographiques : Musée national du Danemark et source dans la presse danoise ici (en danois).