Des milliers d’objets trouvés sur un site fascinant de la Chine ancienne
Une découverte majeure du XXIe siècle, rien de moins. Les fouilles du site de Sanxingdui ont produit durant les deux dernières années pas moins de 13000 objets en bronze, et pourraient en livrer des dizaines de milliers d’autres dans les années à venir. Elles rappellent aussi le bouleversement complet de la compréhension des origines de la civilisation chinoise, entamé dans les années 80 grâce à de multiples découvertes archéologiques. Les recherches de ces dernières décennies dessinent des origines multiples et complexes, s’opposant à l’historiographie traditionnelle de l’une des civilisations les plus riches et fascinantes du monde.
L’historiographie traditionnelle chinoise : les Xia, les Shang et les Zhou.
Pour bien comprendre le contexte et l’importance de ces découvertes, il faut revenir sur l’historiographie traditionnelle chinoise, dominante pendant des siècles. Elle s’appuie sur une vision cyclique de l’histoire mise en place à partir des rois Zhou, dynastie en place du XIe au IIIe siècle avant notre ère. D’après cette conception, la Ciel accorde ses faveurs aux souverains les plus vertueux. Les rois sont les « Fils du Ciel » et disposent du « mandat céleste ». Lorsque les souverains perdent en vertu, le Ciel finit par les abandonner au profit d’un nouveau personnage vertueux, qui renverse la dynastie régnante pour en établir une nouvelle. C’est ainsi que la dynastie des Xia, la première dynastie chinoise dans l’histoire traditionnelle, est renversée par les Shang. Puis les Shang par les Zhou. Cette conception cyclique justifiait bien sûr la prise de pouvoir par ces derniers et leur caractère vertueux.
Cette histoire traditionnelle, reposant sur quelques ouvrages remontant à l’antiquité chinoise, est remise en cause dès le début du XXe siècle. Mais l’archéologie va bouleverser la donne. La découverte du site de Yinxi, et les fouilles archéologiques qui y débutent vers 1927, vont pourtant mettre au jour les vestiges d’une grande cité, des os oraculaires portant les noms de plusieurs rois Shang mentionnés par les anciennes annales, donnant du corps à l’historiographie traditionnelle.
D’autres découvertes suivent : la culture d’Erligang (vers -1600 à -1400) que certains chercheurs rattachent à la dynastie Shang, mais sans véritables preuves historiques, la culture d’Erlitou (vers -1900 à -1500), parfois associée (sans plus de preuves) à la dynastie Xia.
Mais la découverte du site de Sanxingdui est particulière, et a contribué à révolutionner la vision de la civilisation chinoise ancienne.
L’extraordinaire culture ancienne du site archéologique de Sanxingdui.
Quelle était cette culture, qui a prospéré pendant des centaines d’années dans ce qui est aujourd’hui le sud-ouest de la Chine ?
Jusqu’au IVe siècle avant notre ère, le Sichuan est isolé du bassin du fleuve Jaune, où se trouve notamment le site de Yinxi ou les sites des cultures Erligang ou Erlitou. En 1927, un matériel archéologique important est retrouvé à Sanxingdui, un site situé à environ 60 km de Chengdu, capitale provinciale du Sichuan.
De premières prospections archéologiques sont menées dans les années 30 sur le site. Mais c’est surtout depuis 1986 que des fouilles archéologiques de plus grandes ampleurs y sont menés et que le site, affecté par l’érosion et la pollution est mieux protégé. Et le potentiel archéologique des lieux est considérable, car le site recouvre une superficie gigantesque de 12 km², dont les vestiges s’étalent sur une période vieille de 3000 à 4500 ans.
La découverte de ce site compte parmi les plus marquantes du XXe siècle. Non seulement car les archéologues ont retrouvé des objets spectaculaires, et notamment des bronzes extraordinaires témoignant de la haute sophistication de la culture de Sanxingdui, mais aussi parce que ces fouilles ont profondément révolutionné la vision des chercheurs sur cette époque, et modifié l’idée que le bassin du fleuve Jaune était le seul berceau de la civilisation chinoise.
Certains chercheurs ont rattaché la culture de Sanxingdui au mystérieux royaume Shu, dont on trouve mention dans l’historiographie traditionnelle, et qui aurait été en contact avec le royaume Shang. Dans tous les cas, la découverte de ce site a contribué à dessiner un tableau plus complexe et multiple des origines de la civilisation chinoise que celui qui avait cours jusqu’alors.
Des milliers d’objets retrouvés dans six fosses sacrificielles.
Depuis 2020, de nouvelles fouilles ont débuté à Sanxingdui pour dégager six fosses sacrificielles. Et tenez vous bien : jusqu’à présent, les archéologues n’ont retrouvé pas moins de 13000 objets en bronze, en or et en jade répartis sur six fosses. Et il pourrait y en avoir encore plusieurs dizaines de milliers.
La plupart des nouvelles découvertes proviennent cependant de deux fosses, numérotées 7 et 8, qui contenaient 1238 objets en bronze, 543 en or et 565 pièces de jade. On imagine le travail considérable qui attend les chercheurs pour extraire, inventorier et étudier tous ces objets. Parmi ceux-ci, certains sont minuscules. Mais d’autres sont spectaculaires et constituent des découvertes uniques en leur genre. En particulier, les archéologues ont retrouvé dans la fosse 7 une boîte en bronze contenant un objet en jade vert. Le haut et le bas sont recouvert de couvercles en forme de tortue. Les côtés de la boîte sont ornés d’une charnière en bronze et de poignées en forme de têtes de dragon. L’analyse de microtraces a révélé que la boîte était enveloppée dans une enveloppe de soie.
Il ne serait pas exagéré de dire que ce contenant est unique en son genre, compte tenu de sa forme distinctive, de sa finesse artisanale et de sa conception ingénieuse. Bien que nous ne sachions pas à quoi il servait, nous pouvons supposer que les anciens le conservaient précieusement. »
Li Haichao, professeur de l’Université du Sichuan et responsable des fouilles dans la fosse numéro 7.
Dans la fosse voisine, la numéro 8, les archéologues ont retrouvé des objets et sculptures complexes. Notamment de grands masques en cuivre et en or aux caractéristiques faciales exagérées. Ces masques présentent notamment des sourcils en forme de couteau, des yeux saillants de forme triangulaire (une caractéristique fréquemment présente dans l’art de Sanxingdui et qui pourrait faire référence à un roi mythique, dont l’historiographie rapporte qu’il avait les yeux protubérants), d’énormes oreilles étirées, un nez retroussé et des lèvres fines. Les experts pensent que ces masques étaient fabriqués pour honorer les ancêtres ou les dieux fondateurs.
Parmi les autres découvertes marquantes figurent un autel en bronze, ou encore un dragon représenté avec un nez de cochon. Une autre sculpture, retrouvée en trois parties, représente un serpent à tête humaine, aux yeux exorbités , avec des défenses et des cornes. Le sommet de la tête ressemble à une jarre de vin en forme de trompette.
Les sculptures sont très complexes et imaginatives, reflétant le monde féerique imaginé par les gens à cette époque-là, et elles illustrent la diversité et la richesse de la civilisation chinoise. »
Zhao Hao, professeur associé à l’Université de Beijing, qui dirige les fouilles de la fosse numéro 8.
Le but de ces dépôts sacrificiels n’est pas très clair. Ils pourraient avoir un caractère funéraire. Autour des fosses, les archéologues ont en effet retrouvé des trous contenant des morceaux d’ivoire brûlés, avec des cendres qui semblent être des résidus de bois et de végétaux, utilisés comme combustibles. Même si aucun restes humains n’a été retrouvé, les archéologues pensent que le cadavre aurait pu être incinéré, ne laissant ainsi pas de traces.
Le travail scientifique est cependant largement tributaire de l’archéologie, car il n’existe à ce jour aucune trace écrite directe lié à la culture de Sanxingdui. Il ne fait cependant aucun doute que les fouilles de Sanxingdui révéleront bien d’autres mystères et d’autres spectaculaires découvertes.